Comprendre et anticiper
l’impact du changement climatique sur la forêt française au cours du siècle, la préoccupation majeur du CNPF…
Le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF) est un établissement public de l’État, au service des propriétaires forestiers et administrés par eux-mêmes, avec des orientations économiques, techniques et écologiques. Fruit de la fusion de 20 structures, créé par ordonnance en 2009, le CNPF a pour objectif de développer et améliorer la production des forêts privées françaises qui représentent les 3⁄4 de la forêt française : elle couvre 11 millions d’hectares (sur les 15 millions d’ha de la forêt française), soit 20 % du territoire. Sa surface a doublé depuis 150 ans et continue de s’accroître régulièrement. La proportion en forêt privée varie d’une région à l’autre : si elle est moindre dans quelques régions du Nord-Est, elle prédomine dans les autres régions comme le Sud-Ouest.
Les espèces feuillues sont majoritaires et variées en forêt privée, les chênes y prédominent. Malgré leur faible surface, les peupleraies privées assurent près de 30 % de la récolte de bois d’œuvre feuillu. Les pins constituent l’essence la plus présente dans les forêts résineuses privées.
1 120 000 propriétaires possèdent plus de 1 ha de forêt. Cette variété de forestiers est source d’une diversité de forêts, favorable à une diversité de faune et flore. 65 % de la surface est constituée de propriétés de plus de 10 ha. au-delà de ce seuil, la superficie moyenne est de 37 ha. Divers documents de gestion sylvicole régionaux ou spécifiques à chaque type de propriété sont élaborés pour préserver la pérennité, la bonne santé et la biodiversité de nos forêts.
Depuis 150 ans, la surface boisée des forêts privées a doublé, le volume de bois sur pied a au moins triplé. Les propriétaires forestiers privés ont engagé d’importants efforts d’amélioration forestière.
L’accroissement annuel de bois sur pied est élevé en forêt privée (6,6 m3/ha/an) et en forte augmentation depuis 25 ans (environ + 40 %). Il est passé de moins de 100 m3/ha à 140 m3/ha. La récolte annuelle de bois en France est estimée à 55 millions de m3. La forêt privée produit environ 38 millions de m3 commercialisés chaque année, auxquels s’ajoutent les millions de m3 autoconsommés.
Cette récolte annuelle reste inférieure à l’accroissement du volume sur pied. On est donc loin de la surexploitation ! La forêt privée est en capacité de faire face à une augmentation de l’utilisation de bois. Pourtant, la France enregistre tous les ans un déficit commercial important, de l’ordre de 6,4 milliards d’euros. Elle doit donc faire des efforts pour mieux mobiliser les bois de ses forêts et le transformer localement !
Répartie sur l'ensemble du territoire, la forêt privée constitue une source d'emplois non délocalisable, tant pour l'exploitation que pour les travaux, particulièrement dans les zones rurales à fort déséquilibre démographique. La forêt privée contribue ainsi à réduire la désertification des campagnes. Le développement forestier génère des emplois non seulement en forêt, mais également dans les secteurs de la transformation et de l’utilisation du bois.
La forêt assure gracieusement de nombreux services liés à l’environnement : séquestration du carbone, qualité de l'eau, biodiversité, accueil du public.
De nombreuses observations attestent d’un changement climatique (élévation de température depuis 1970 et augmentation marquée du taux de CO2 dans l’atmosphère). Pour les forestiers, le changement climatique se manifeste bel et bien. Ces dernières décennies ont été marquées par quelques évènements climatiques majeurs (ex. : ouragans de 1999, canicule de 2003, sécheresses de 2005 et 2006, tempête de 2009...) qui ont sensibilisé les forestiers à ce nouveau contexte.
Les phénomènes suivants ont été observés :
- des dépérissements de quelques essences (le chêne pédonculé du bassin ligérien ou le douglas dans le Massif central),
- l’accroissement de la croissance de certaines essences (du fait de l’augmentation du taux de C02 qui favorise la photosynthèse),
- la migration de certaines espèces vers le nord (ravageur comme la processionnaire du pin ou forestières méditerranéennes comme le pin d’Alep),
- la progression de la végétation en altitude (gui...),
- les modifications de phénologie d’espèces forestières,
- l’augmentation de la fréquence d’aléas ou d’extrêmes climatiques...
La forêt est pourtant un milieu, qui évolue extrêmement lentement, au regard du rythme effréné de notre société. La vitesse annoncée des changements devrait être plus rapide que l’adaptation ou la migration naturelle des espèces. La faible vitesse de croissance et de réaction des arbres face à toute modification impose de les anticiper au plus tôt.
Face à l’augmentation des températures et l’accentuation des sécheresses estivales, les forestiers doivent donc anticiper tant pour continuer de produire un matériau écologique et renouvelable, indispensable pour lutter contre l’effet de serre, que pour atténuer de manière plus globale les effets du changement climatique, à la fois sur les forêts elles-mêmes et sur la planète entière.
En effet, la forêt participe à l’atténuation du changement climatique, du fait de la séquestration du carbone d’une part, ainsi que de la fourniture de bois et de biomasse d’autre part, qui permet d’éviter des émissions de carbone fossile. Il est donc essentiel que les forestiers adaptent leur gestion pour maintenir un bon état de production de la forêt.
Pour les forestiers, s’adapter au changement climatique est un défi, à relever dès aujourd’hui.
Le CNPF, du fait de ses missions de développement et d’amélioration de la gestion des forêts privées, répond aux attentes des propriétaires forestiers, en diffusant un discours cohérent et en se dotant d’outils adaptés. Avec son institut technique IDF (Institut pour le développement forestier), il est en effet coordinateur du Réseau mixte technologique « Aforce », consacré à l’adaptation des forêts au changement climatique. Son objectif est de produire des outils d’aide à la décision pour les forestiers, en collaboration avec les instituts de recherche. Il permet le transfert de diverses études, souvent partiel, et de dégager à terme des solutions globales.
Le CNPF doit ensuite les transmettre à des forestiers privés très nombreux (1 millions possèdent plus d’1 ha) et très diversifiés. Face au changement climatique, leurs réactions varient : certains s’inquiètent à très court terme, d’autres attendent de voir venir. Le CNPF doit donc porter un discours ni trop alarmiste, ni trop rassurant, afin de faire prendre conscience à tous de la nécessité d’anticiper dès maintenant mais sereinement, tout en intégrant les incertitudes de la recherche.
Le séminaire technique national, organisé à Tours les 29 et 30 janvier 2013, a pour but de relever ces défis.
Pour adapter les forêts au changement climatique, le CNPF envisage les orientations suivantes :
• Développer le diagnostic climatique passé et futur pour les forêts, afin de comprendre les phénomènes en cause localement ;
• Préciser le diagnostic des peuplements dépérissants pour mieux prédire leur avenir ;
• Faire évoluer les sylvicultures selon plusieurs options techniques : moins d’arbres pour consommer moins d’eau, associer différentes essences pour plus de résilience, raccourcir les cycles de production pour éviter les risques, changer d’espèces si besoin pour une meilleure résistance ;
• Expérimenter en vraie grandeur, dès aujourd’hui, de nouvelles techniques et itinéraires sylvicoles ;
• Animer un réseau au sein de la forêt privée pour impliquer les acteurs et faire remonter les observations et les expériences.
La forêt constitue un écosystème dont le patrimoine et le fonctionnement apportent à la société de nombreux services regroupés en trois fonctions essentielles :
* La fonction économique (production de matières premières et de denrées, création d’emplois).
* La fonction écologique (diversité biologique et interactions avec l’atmosphère, l’eau et le sol).
* La fonction sociale (usage de la forêt comme espace de loisir, patrimoine, culturel...).
La fonction économique est le moteur des autres fonctions de la forêt, qui sans elles périclitent. La forêt produit principalement du bois :
- le bois-matériau (bois d’œuvre) qui alimente les industries de transformation du bois (construction, ameublement, ...) ;
- le bois de pâtes destiné aux industries des papiers, cartons et panneaux ;
- le bois-énergie qui alimente les chaufferies industrielles, collectives ou individuelles. Mais elle fournit aussi de nombreux autres produits, dits « non ligneux » :
- la chimie verte (biocarburants, résines, arômes alimentaires, épaississants, gélifiants, tanins...) ;
- les lièges et écorces ;
- les menus produits (champignons, baies, lichens, feuilles, châtaignes, miel, fleurs...). D’autres activités économiques gravitent autour de cette fonction essentielle : la chasse, les loisirs en forêt, l’écotourisme, l’élevage, le pâturage, l’aménagement du territoire et son corollaire, le maintien du milieu rural. C’est « l’économie verte ». Un rapport, émis par l’Organisation internationale du travail (juin 2012), évalue à 14,6 millions les emplois liés à l’économie verte sur les vingt prochaines années. En France, la forêt emploie plus de 425 000 salariés, soit 1,7 % de l’emploi national.
La fonction écologique de la forêt se partage en trois grands domaines :
- Régulation. La forêt régule le climat (séquestration de CO2, modération de la température et de l’humidité), la qualité de l’air (fixation des polluants, recyclage de l’air et production d’oxygène), le régime des eaux (réduction de la charge en sédiments des cours d’eau), maintien des sols et de leur qualité (atténuation de l’érosion, phytoremédiation, reconstitution des sols et de leur fertilité).
- Protection. La forêt protège contre les risques naturels (crues, avalanches, glissements de terrain, chute de pierre, action du vent...) et améliore la qualité de l’eau autour des captages ou des zones d’alimentation.
- Préservation. La forêt maintient la biodiversité (génétique, des espèces et des habitats), à l’échelle locale et à l’échelle de l’aménagement du territoire.
La fonction sociale se traduit par :
- un rôle récréatif qui représente, en France, 600 millions de visites par an ;
- un rôle paysager qui s’exprime principalement en milieu rural (mais aussi urbain) ;
- un rôle culturel et pédagogique (monuments, vestiges, arts, arbres remarquables...).
Le changement climatique menace ces fonctions. Les forestiers répondent à ce défi en adaptant leur gestion.