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UN ARTISTE VOYAGEUR EN MICRONÉSIE - L’univers flottant de Paul Jacoulet

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L-univers-flottant-de-Paul-Jacoulet-.jpgUN ARTISTE VOYAGEUR EN MICRONÉSIE - L’univers flottant de Paul Jacoulet

26/02/13 – 19/05/13 Mezzanine est au Quai Branly

Les œuvres présentées dans cette exposition ont été sélectionnées parmi celles de la donation majeure de 2950 aquarelles, dessins, études et autres documents de Paul Jacoulet faite par Madame Thérèse Jacoulet-Inagaki au musée du quai Branly. Cette donation, actuellement en dépôt au musée appartiendra officiellement au musée le jour du vernissage de l’exposition.

L’univers flottant de Paul Jacoulet1

* LA VIE ET L’ŒUVRE DE PAUL JACOULET

* L’enfance feutrée d’un garçon maladif

Paul Jacoulet naît prématuré à Paris le 23 janvier 1896. Il restera toute sa vie d’une santé très fragile. Dès l’âge de trois ans, il quitte la France avec sa mère pour aller rejoindre au Japon son père, Paul Frédéric Jacoulet, professeur de français à l’Ecole des hautes études commerciales de Tokyo ainsi qu’à l’Ecole des officiers de l’armée.

A l’âge de cinq ans, il commence son éducation à domicile avec de nombreux tuteurs européens, japonais et français. Il apprend le japonais, l’anglais, le dessin, la musique et les disciplines générales. Vers 1902, en relative meilleure santé, Paul est envoyé à l’école primaire toute proche dépendant de l’École normale de Tokyo puis à son collège secondaire. Il est le premier Occidental à avoir suivi cette scolarité japonaise.

En 1907, son père l’emmène pendant plusieurs mois en France pour lui faire découvrir son pays, sa culture ainsi que les peintres Courbet, Millet, Matisse, Gauguin et Picasso. De retour au Japon, Paul oublie vite son passage au pays natal et se replonge dans l’atmosphère artistique nippone, s’intéresse à la beauté des sciences naturelles, aux insectes, aux plantes et aux papillons. Il se passionne pour les visages des hommes, des femmes, des enfants, pour leurs costumes et leurs habitudes. Il apprend la calligraphie, d’abord avec le Pr. Hyakusen Yoda, puis avec l’assistant de son père, Eitarô Mochizuki, qui lui fait découvrir les gravures sur bois ou estampes ukiyo-e. Paul prend ses premiers cours particuliers de dessin à l’institut Hakuba-kai (Société du cheval blanc), avec Seiki Kuroda (1866-1924), célèbre peintre à l’occidentale ayant fait ses études en France. Paul apprend aussi la danse, le récit chanté épique gidayu en s’accompagnant au shamisen (sorte de luth à trois cordes). Il suit les leçons particulières du peintre Keiichirô Kume (1866-1934) qui lui apprend à maîtriser les techniques de la peinture occidentale (huile et pastels). Vers 1909, Paul est envoyé chez deux maîtres de la peinture classique japonaise, Terukada Ikeda (1886-1921) et son épouse Shôen (1888-1917), dont il deviendra le disciple. Avec eux, il se concentre sur la technique des bijinga (peintures de beautés féminines).

De cette période date son goût pour les collections, celle de papillons et celle des estampes ukiyo-e, qui impressionnent non pas par leur quantité mais par la qualité des Utamaro (vers 1753- 1806), Chôki (fin du 18e-début du 19e siècle) ou Kiyonaga (1752-1815) qu’il a lui-même choisies.

L’univers flottant de Paul Jacoulet2La geisha Kiyoka, Mai 1935, gravure sur bois polychrome

* Face aux cruelles réalités

Quand la Première Guerre mondiale éclate, un an après que Paul Jacoulet a terminé ses études secondaires, commencent les difficultés financières. Mobilisé, son père rejoint la France en octobre 1916 et n’en reviendra très affaibli qu’en 1919. Mme Jacoulet est obligée de trouver du travail pour subvenir aux besoins quotidiens et Paul trouve une place de traducteur à l’ambassade de France. Son père meurt subitement en 1921 et, quelques mois après, sa mère retourne en France, laissant son fils seul pour la première fois de sa vie. Après le travail, Paul côtoie les milieux artistiques, les acteurs de kabuki, assiste aux spectacles de noh et de bunraku, ou joue du tambour dans un petit orchestre d’amis, le « Tokyo Musical ». Il se rend souvent à Kanda, quartier des librairies de livres anciens, à la recherche d’estampes. Il s’entoure de nombreux amis dont il prend l’habitude de faire le portrait à l’aquarelle dès 1927.

Après sept ans de séparation, Paul retrouve sa mère qui revient de Paris en février 1929, avant de partir en Corée à la fin octobre rejoindre son nouveau mari, le médecin Hiroshi Nakamura, professeur à l’université impériale de Séoul.

* Vivre sa vie d’artiste

Décidé de vivre sa vie d’artiste, Paul Jacoulet part pour un premier voyage en Micronésie au mois de mars 1929 avec son ami Yujirô Iwasaki. Il peint de nombreuses esquisses et aquarelles qu’il date, ce qui permet ainsi de suivre son itinéraire : Saipan et Truck (Chuuk). Chaque année, jusqu’en 1932, il passe les printemps dans les îles Mariannes (Saipan), les Carolines (Yap, Truck et Ponape), les Palaos, les Marshall et Menado aux Célèbes. En 1930, il fait son premier voyage en Corée, alors colonie du Japon. Il y retournera régulièrement jusqu’en 1940 pour revoir sa mère.

L’artiste prend conscience de la fragilité de certaines populations de Micronésie, notamment de l’île de Yap, auxquelles il s’attache. Il fixe sur le papier ces scènes évanescentes de vies pleines de charme. Hommes, femmes, enfants, objets de la vie quotidienne, parures, tatouages, bijoux ou accessoires deviennent des sujets ou objets artistiques, qu’il replacera plus tard dans ses estampes sans prétendre à un regard ethnologique.

L’univers flottant de Paul Jacoulet3Vicente Rogopes en visite chez moi Elégant de Saïpan, Mariannes, avril 1929 crayon et aquarelle sur papier

* La gravure sur bois ukiyo-e comme moyen d’expression : l’Institut de gravure Jacoulet

Paul Jacoulet déménage en décembre 1931 dans le quartier d’Akasaka avec l’intention d’y installer un atelier. Il fait la rencontre d’un jeune Coréen, Jean-Baptiste Rah, qui devient son assistant et qui fait venir ses trois frères, dont Louis qui sera son deuxième assistant. Jean-Baptiste et Louis travailleront auprès de Paul Jacoulet pendant trente ans. Jean-Baptiste se mariera plus tard, prendra le nom japonais de Hiroshi Tomita et aura, en 1946, une fille – Thérèse – qui sera adoptée par Paul Jacoulet en 1951.

L’admiration que le jeune artiste porte aux estampes, et particulièrement à celles d’Utamaro, l’amène à choisir la gravure sur bois ukiyo-e comme moyen d’expression privilégié.

En 1933, la maison est transformée en « Institut de gravure Jacoulet » malgré l’opposition de sa mère qui lui envoie régulièrement de l’argent pour survivre et qui devra financer en partie ce projet. L’artiste s’attache d’abord comme maître graveur Kazuo Yamagishi et comme maître imprimeur Eijirô Urushibara. L’équipe ainsi formée produit en 1934 la première estampe, Jeune fille de Saipan et fleurs d’hibiscus – Mariannes. Chaque année verra la sortie de nombreuses estampes, exposées en 1936 dans plusieurs grands magasins de Tokyo, d’Osaka, mais aussi à Séoul, à Hawaï en 1937, ensuite à Kobe en 1938 et à Yokohama en 1939. Forte de cette renommée, l’entreprise « Atelier Jacoulet » entame sa période la plus productive. Cette réputation facilite les ventes qui résolvent les quasi éternels problèmes financiers.

Très méticuleux dans son travail, Paul Jacoulet contribue au renouvellement de la tradition de l’ukiyo-e et à son dépassement dans une nouvelle forme et dans un style inédit, avec des lignes sobres et des couleurs vives. Il utilise le crayon, en maniant habilement, avec puissance, plusieurs épaisseurs qui expriment d’un seul trait les contours des visages, des corps, des mains, les plis des vêtements. L’artiste innove aussi en utilisant des pigments naturels et des tons saturés avec des poudres de végétaux, de métaux divers, de mica ou de nacre afin de parvenir à des effets naturels ; ses couleurs pures et intenses réussissent à transposer la lumière, à exprimer une émotion ou à symboliser un rêve. La sensualité se dévoile dans les lignes des corps et dans les yeux qui regardent le spectateur, comme pour engager un dialogue.

L’univers flottant de Paul Jacoulet4M. Keen et M. Lee, Séoul, Corée février 1951, gravure sur bois polychrome

* Portraits évanescents

Tout en gardant la maîtrise des techniques traditionnelles de la gravure sur bois, Paul Jacoulet insère la modernité de son époque par l’introduction de nouveaux sujets, de personnages anonymes, de scènes de la vie quotidienne. Son travail se concentre sur les portraits qui s’inspirent des estampes d’acteurs de kabuki ou des personnages d’Utamaro, dont il emprunte la composition et le monde flottant sans perspective. L’artiste cherche à fixer les derniers moments des traditions et coutumes des régions qu’il parcourt (Izu, Oshima, Hokkaido, Nagano, Sado, Chiba, Kyoto, les îles de Micronésie, la Corée, la Mandchourie) et de leurs habitants, jeunes filles, beaux garçons des îles à moitié nus, jeunes Coréens en costume traditionnel, vieillard aïnou, belle Chinoise, tous portraits évanescents.

La mort soudaine de sa mère en octobre 1940 inspire à l’artiste la célèbre série des cinq Princesses de Mandchourie, imprimée en 1942. Cette publication met fin à la première partie de la vie d’artiste de Paul Jacoulet avec une production de quatre-vingt-cinq estampes. La guerre du Pacifique, qui a commencé avec l’attaque surprise de la Marine impériale contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941, va interrompre le travail pendant cinq longues années. Paul Jacoulet reste à Tokyo malgré les bombardements mais, finalement, en 1944 il décide de se réfugier avec ses assistants dans les montagnes du département de Nagano, à Karuizawa, station d’été où les nantis de la capitale fuient les grandes chaleurs.

L’univers flottant de Paul Jacoulet5L’Etoile de Gobi, Mongolie, janvier 1951 gravure sur bois polychrome

* L’après-guerre et la renommée aux États-Unis

À l’automne 1946, Paul reprend le travail. Trois expositions sont organisées sur deux bases américaines au Japon dès 1946. Paul Jacoulet achète un grand terrain et une maison à Karuizawa, où il emménage en mars 1948. Paul Jacoulet ne reviendra jamais habiter Tokyo où la maison qu’il louait avait été réduite en cendres par les bombardements.

L’entreprise Jacoulet renoue avec la croissance : quinze estampes paraissent en 1948, trois l’année suivante, puis au rythme de trois à six par an jusqu’en 1960. Les expositions à l’étranger se succèdent, Guam en 1947, puis Los Angeles en 1950, New York en 1951, Helsinki en 1952 et Perth en Australie en 1955, pour n’en citer que les principales. La renommée est de retour après avoir traversé le Pacifique.

En 1953, la santé de l’artiste se détériore, les premiers symptômes du diabète se manifestent. D’octobre 1954 à avril 1955, Paul Jacoulet entreprend un long voyage avec sa fille Thérèse et son assistant Louis Rah, périple qui les mène à Hongkong, Singapour, en Australie, à Tahiti et aux Antilles. De retour à Karuizawa, l’artiste prépare un grand projet de cent vingt estampes sur les peuplades d’Asie et du Pacifique en voie d’extinction. Le 9 mars 1960, Paul Jacoulet meurt. Il est enterré auprès de son père Frédéric au cimetière d’Aoyama à Tokyo.

CHRONOLOGIE DE LA VIE DE PAUL JACOULET

L’univers flottant de Paul Jacoulet6Paul Jacoulet chez lui à Akasaka Tokyo, mars 1938

1896 : Paul Frédéric Jacoulet (1872-1921) et Jeanne Pétrau-Lartigues de Membiel (1874- 1940) donnent naissance à Paul, rue de Rome, dans le 8e arrondissement de Paris.

1897 : Paul-Frédéric obtient un poste de professeur de français à Tokyo. Deux ans plus tard, la famille s’installe au Japon.

1902 : Paul entre à l’école tout en étudiant le japonais et l’anglais avec des précepteurs particuliers.

1907 : Lors d’un voyage en France avec son père, il découvre les grands peintres modernes européens.

1909 : A l’âge de treize ans, il reçoit l’enseignement de Terukata et Shoen Ikeda, un couple de peintres de renom. Il s’exerce durant cette période à reproduire les classiques de l’ukiyo-e.

1921 : Après la mort de Paul Frédéric Jacoulet, sa mère quitte le Japon pour la France. Remariée à un Japonais résidant à Séoul, elle s’installe durablement en Corée. Les visites que lui rendra Paul donneront naissance à de nombreuses œuvres inspirées de ce pays.

1929 : Profondément marqué par son premier voyage en Micronésie, il décide de consacrer sa vie à la peinture. Après cette expérience décisive, il débute aussi sa collection de papillons et se rendra plusieurs fois en Micronésie jusqu’en 1932.

1933 : Il fonde à Tokyo l’Institut Jacoulet des estampes (Jacoulet Hanga Kenkyu-jo) et collabore avec des maîtres graveurs et imprimeurs, selon la tradition. Il produit et expose ses premières séries d’estampes et connaîtra, bientôt, l’apogée de sa carrière.

1942 : Avec les bouleversements de la Seconde Guerre mondiale, Paul Jacoulet met en suspend son activité artistique, juste après la publication de Princesses de Mandchourie. Trois ans plus tard, avec les bombardements aériens de 1945, sa maison est détruite mais l’artiste parvient à sauver la plupart de ses dessins et aquarelles.

1944 : Paul Jacoulet s’installe à Karuizawa, aux pieds des montagnes, où il fonde un nouvel atelier avec les frères Rah, qui travailleront avec lui jusqu’à la fin de sa vie.

1960 : Après plusieurs expositions en Europe et aux États-Unis, Paul Jacoulet disparaît, victime du diabète.

 

* LA MICRONÉSIE AU TEMPS DE PAUL JACOULET

Le mot « Micronésie », inventé par le géographe français Domeny de Rienzi en 1831, puis publié et popularisé par l’explorateur Dumont d’Urville, en 1832, constitue la première tentative européenne de caractériser d’un point de vue ethnographique les insulaires qui apparaîtront sur les portraits de Jacoulet. Le nom de « Micronésie » a été conçu afin de donner une plus grande spécificité ethnographique et géographique aux « toutes petites îles » situées au nord de la Nouvelle-Guinée et des Salomon. Il existe toutefois de réelles différences linguistiques entre les îles situées à l’Est et celles situées à l’Ouest. En raison de cette imprécision en tant que catégorie ethnographique, le terme « Micronésie » tend à être employé aujourd’hui de plus en plus au sens non pas culturel mais politique, pour désigner les citoyens de la Fédération des États de Micronésie, seule entité politique à avoir adopté ce terme. Utilisé dans un cadre de référence plus large, il peut encore, comme en Europe ou en Amérique du Sud, s’appliquer à une vaste région géographique culturellement diversifiée, mais dont les éléments sont liés.

Lorsque Paul Jacoulet foule pour la première fois le sol de la Micronésie, en 1929, la plupart des îles de la région sont sous administration japonaise depuis 1914. Le Japon a, en effet, occupé les colonies allemandes dans le Pacifique situées au nord de l’équateur, entre les Philippines et Hawaï, au début de la Première Guerre mondiale. En 1920, la Société des nations, réunie à Versailles, accorde au Japon un mandat d’administration sur les possessions micronésiennes. Elles comprennent les îles aujourd’hui connues sous le nom de République de Palau, à environ 800 km à l’est des Philippines, la Fédération des États de Micronésie (Federated States of Micronesia, FSM), c’est-à-dire les États insulaires de Yap, de Chuuk (Truck), de Pohnpei (Ponape) et de Kosrae (Kusaie), et enfin, très à l’est, la République des îles Marshall.

Au nord de Yap et de Chuuk, les actuelles îles Mariannes du Nord (Commonwealth of the Northern Marian Islands, CNMI) – qui consistent en quinze îles coralliennes élevées et volcaniques, dont trois seulement, Saipan, Tinian et Rota sont habitées en permanence – passent, elles aussi, sous administration japonaise. En novembre 1920, l’île de Guam, la plus au sud et la plus grande de l’archipel des Mariannes, est placée sous l’autorité des États-Unis, et deux îles de Micronésie – Nauru, juste au sud-ouest des Marshall, sur l’équateur, et sa voisine orientale, la République de Kiribati – demeurent sous l’autorité coloniale conjointe de la Grande-Bretagne, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Guam, Nauru et Kiribati subissent l’occupation militaire japonaise durant la Seconde Guerre mondiale.

Le dernier séjour de Jacoulet en Micronésie remonte à 1932, un an avant que le Japon quitte la Société des nations et incorpore à son empire ses possessions dans le Pacifique. En 1936, la population étrangère (japonaise) a en effet connu une croissance exponentielle, en raison de deux facteurs : d’une part, la fondation de la Société de colonisation des mers du Sud, qui promeut une immigration en provenance du Japon et un développement supplémentaire de la région ; d’autre part, l’accroissement de la présence militaire, qui commence cinq ou six ans avant la Seconde Guerre mondiale.

 

* LA TECHNIQUE DE L’ESTAMPE JAPONAISE (UKIYO-E)

La production d’estampes a connu un fort essor au Japon à l’époque Edo (1603 à 1868). Elle a permis la diffusion à grande échelle d’une imagerie populaire reflétant les goûts, le mode de vie et la culture de la société bourgeoise d’Edo, aujourd’hui Tokyo. Ces images imprimées décrivent un « monde flottant » (ukiyo-e), celui du profane, des hommes et de la nature soumis à l’impermanence.

D’un point de vue technique, l’estampe japonaise est une xylographie polychrome. Elle est obtenue par la gravure du dessin original de l’artiste sur une matrice de bois, ensuite imprimée par pression manuelle, à l’aide d’un tampon circulaire (baren) sur le support papier.

L’enjeu pour l’artiste, auteur du dessin original, est ici de traduire son sujet de manière synthétique par un trait réduit à l’essentiel, reproductible par le graveur. L’ukiyo-e est produite par la collaboration étroite entre artiste, graveur et imprimeur.

Sur le plan historique, le procédé initial de l’estampe noir et blanc a laissé peu à peu place à des images en couleurs, plus complexes et coûteuses à réaliser. Chacune des couleurs est en effet obtenue séparément, à l’aide d’une matrice spécifique. Les estampes de Paul Jacoulet, souvent extraordinaires par l’étendue de leur palette, ont ainsi nécessité jusqu’à une centaine de passages à l’impression.

 

Parcours de l’exposition :

Artiste voyageur, formé aux arts japonais, Paul Jacoulet a produit une œuvre surprenante d’originalité.

Estampes, aquarelles, dessins et objets personnels de l’artiste rassemblés dans l’exposition traduisent une fascination pour la diversité des hommes et des espèces naturelles. Le monde, vu par Paul Jacoulet, consacre une beauté idéale et éphémère, captée sur l’instant par le dessin et la couleur. Dans son œuvre transparaît alors, de manière constante, l’esthétique japonaise de l’impermanence, une certaine poésie de la fragilité de l’homme et du monde.

* L’artiste voyageur

Paul Jacoulet demeure, avant tout, un artiste japonais dans sa formation et dans sa sensibilité. Né fils unique et élevé dans la haute société de Tokyo, il reçoit une solide éducation artistique qui fera naître son intérêt pour la peinture, la calligraphie et le récit chanté (gidayu). Cet artiste complet est guidé, durant toute sa carrière, par sa passion pour les modes d’expression artistiques japonais, sous toutes leurs formes.

Son admiration pour ses professeurs de dessin et pour les grands maîtres de l’estampe, dont Utamaro, transparaît nettement dans son œuvre mais ne prend jamais la forme de la copie. Elle le conduit très vite vers un style personnel, inspiré de ses voyages.

Dans ses séries d’aquarelles et d’estampes asiatiques, consacrées à la Corée, à la Chine et au Japon, Paul Jacoulet porte toujours un regard façonné par sa culture artistique japonaise. Quels que soient les lieux dont elles s’inspirent, ses compositions restent avant tout fidèles aux conventions de la gravure sur bois avec des portraits ou des représentations de la vie quotidienne, dans lesquels le rendu des costumes joue souvent un rôle essentiel.

L’exposition débute par un espace biographique sur Paul Jacoulet et rend compte de l’originalité de sa vie, un artiste français vivant au Japon au début du 20e siècle.

Une sélection de gravures sur bois et d'aquarelles asiatiques, consacrées aux voyages réalisés par l’artiste en Corée ou en Chine introduisent le visiteur à son œuvre hors de Micronésie.

L’univers flottant de Paul Jacoulet7Vieil Aïnou, Chikabumi, Hokkaido, Japon, octobre 1950 gravure sur bois polychrome

* Vers la lumière des îles de la Micronésie

Durant la première moitié du 20e siècle, les archipels de Micronésie passent de la tutelle de l’Allemagne à celle du Japon, qui en garde le contrôle de 1914 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est durant cette période, en 1929, que Paul Jacoulet visite pour la première fois ces îles. Ébloui par la nature et les cultures locales qu’il y découvre, l’artiste parcourt régulièrement la région jusqu’en 1932. Il ramène de chacun de ses voyages une production abondante d’aquarelles et de dessins, qu’il fait graver et imprimer par ses collaborateurs. Avec un sens de l’observation presque monographique, ces séries micronésiennes magnifient la diversité des espèces naturelles et des sociétés rencontrées. Elles parviennent toujours à rendre sensible la lumière si intense des îles du Pacifique.

Particulièrement novatrices dans leurs sujets, ces œuvres inspirées de la Micronésie sont aussi représentatives d’un style qui trouve, dès lors, sa pleine maturité. Grâce à elles, Paul Jacoulet est salué par la critique pour la justesse de son trait et la brillance de ses couleurs.

L’univers flottant de Paul Jacoulet8Le jeune chef Saragan et son esclave Forum Tomil, Yap, mars 1949, gravure sur bois polychrome

* Les papillons et les insectes

L’intérêt de Paul Jacoulet pour les insectes ne l’a jamais quitté. Avec une passion intarissable, il a rassemblé une collection de papillons qui comptait 30 000 spécimens. Leurs couleurs brillantes et leur élégance éthérée traversent toute l’œuvre de l’artiste et expriment, en quelque sorte, son idéal de beauté.

Avec un œil avisé de collectionneur, Paul Jacoulet parvient à représenter les papillons avec un grand réalisme. Néanmoins, sa passion le conduit bien souvent à agrémenter ses compositions de ses espèces favorites avec une certaine fantaisie. Se retrouvent ainsi dans ses paysages d’Asie orientale ou de Micronésie des papillons du monde entier, quels que soient leurs véritables milieux naturels.

L’univers flottant de Paul Jacoulet9Jeune indigène d'Oléaï, 1935 crayon et aquarelle sur papier

* Les plantes

Paul Jacoulet a toujours été fasciné par l’esthétique des plantes, fleurs et arbres fruitiers. Dans son œuvre comme dans la tradition japonaise, les plantes sont évoquées de manière poétique et métaphorique. Elles incarnent l’idée d’impermanence, de la beauté fragile et transitoire de la vie.

Le langage des fleurs en Micronésie

Les fleurs, souvent peintes par Jacoulet, et les feuilles de plantes ou d’arbres particuliers, cousues ou tressées sous forme de colliers, jouent un rôle important dans la culture micronésienne. Outre leur utilisation en tant que parfum ou parure, elles peuvent revêtir de nombreuses significations symboliques, et des pouvoirs leur sont attribués. Pour un jeune homme, porter une fleur derrière l’oreille, lorsqu’il passe près de sa bien-aimée, lui permet d’envoyer à cette dernière un message discret ; elle peut y répondre à son tour en faisant de même pour leur rencontre suivante, affichant ainsi la réciprocité de leur affection. Dans le même temps, le jeune homme peut avoir appliqué un « sortilège d’amour » à la fleur odorante qu’il porte. Lorsqu’il côtoie la jeune fille de ses rêves, les pouvoirs magiques de la fleur peuvent s’emparer d’elle à mesure qu’elle respire la senteur rehaussée par l’enchantement. À l’inverse, si un homme manifeste trop d’amour et d’affection pour son épouse, et

s’il semble s’occuper davantage de la famille de cette dernière et de ses propres enfants plutôt que de ses sœurs et de leur descendance, il peut alors être considéré comme sous l’effet d’une formule magique nécessitant un filtre contraire.

* L’art du tatouage

Sous l’effet des présences coloniales et missionnaires puis de l’administration japonaise, la Micronésie connaît de forts changements culturels au cours de la première moitié du 20e siècle. La tradition du tatouage, notamment, tend déjà à disparaître lorsque Paul Jacoulet visite la région à partir de 1929.

Séduit par ces archipels et par leurs habitants, le peintre y développe des relations personnelles, particulièrement à Yap et à Ponapé. Cette proximité lui permet d’observer le tatouage qui lui inspirera de nombreuses études et dessins préliminaires. Au-delà de leur dimension artistique, ces séries réalisées à l’aquarelle et à la mine de graphite constituent aujourd’hui un corpus iconographique unique, témoignant des tatouages micronésiens anciens qui indiquent le rang social et le sexe de chaque individu, et sont le symbole de l’identité de chacun.

La représentation des corps tatoués, à la fois sensible et intime, traduit l’émerveillement de l’artiste pour ces cultures insulaires. Elles offrent ainsi une vision poétique et humaniste, bien loin du discours et des dessins scientifiques des ethnologues.

L’univers flottant de Paul Jacoulet10

Chef d'Oléai,Tarang, Yap, Ouest Carolines, 1930, crayon et aquarelle sur papier - Portrait de Ramon, homme de Gorior, Palaos, 1933, crayon et aquarelle sur papier

* L’art de la parure

Au contact des populations des îles du Pacifique, Paul Jacoulet porte un regard attentif à l’esthétique des parures traditionnelles. Les œuvres qu’il y consacre possèdent aujourd’hui une forte valeur documentaire et témoignent de la place importante qu’occupait l’ornement corporel dans ces sociétés.

En s’intéressant à ce sujet, Paul Jacoulet renouvelle un thème classique de la gravure sur bois japonaise, dont les portraits décrivent avec détails les vêtements, coiffures et maquillages. Ainsi l’élégance du port des plumes et des coquillages en Micronésie, fait écho à l’apparence recherchée des acteurs du théâtre kabuki ou des courtisanes japonaises qui ont tant inspiré le genre de l’estampe.

Ce goût tout particulier pour l’ornement du corps rejoint aussi celui du théâtre et du déguisement chez un artiste multiple qui est resté, durant toute sa carrière, à la fois peintre et récitant de chant costumé (gidayu).

Les parures micronésiennes

Dans les archipels de Micronésie, Paul Jacoulet découvre des sociétés qui font de la parure une forme d’expression artistique majeure. Il s’émerveille devant ces cultures dans lesquels hommes et femmes ont un même souci d’embellissement du corps, à travers les tatouages, l’usage d’ornements de chevelure et de fleurs.

Traditionnellement, le port des bijoux est aussi indissociable des danses cérémonielles qui accompagnent tous les grands moments de la vie sociale. Transmis d’une génération à l’autre par les femmes, les colliers, ornements d’oreilles et bracelets constituent le plus précieux des héritages familiaux. Les coquillages, coraux et écailles de tortues utilisés pour leur fabrication figurent en effet parmi les grandes richesses pour les sociétés vivant de la proximité de l’Océan.

L’univers flottant de Paul Jacoulet11

* L’intime

La tradition japonaise de l’estampe érotique place au premier plan l’acte sexuel, avec une certaine pudeur face au corps, toujours représenté vêtu.

Chez Paul Jacoulet, l’approche de l’intime est plus proche du nu de la peinture occidentale. L’esthétique des traits et du modelé du corps y est pleinement mise en valeur, sans allusion directement érotique. La quasi-nudité du monde micronésien permet au contraire à l’artiste d’évoquer une innocence originelle, proche de la nature. Le dessin vif des corps, se détachant sur des décors brillants, animés par la végétation et les insectes, offre la vision d’un monde obéissant à une esthétique naturelle et au-delà de toute pudeur.

L’univers flottant de Paul Jacoulet12Jeune femme de Kusaie Est Carolines, 1939 crayon et aquarelle sur papier

* L’univers de Paul Jacoulet

Le choix des crayons, papiers et couleurs a largement contribué au style de Paul Jacoulet. Tout au long de sa carrière, l’artiste a porté une attention constante à la qualité et à la composition des pigments de couleur, pour lesquels il a eu la plus grande exigence. L’usage de matériaux naturels souvent précieux, comme la poudre de perle ou de mica, permet de créer un univers artistique qui magnifie la réalité.

 

* INFORMATIONS PRATIQUES : WWW QUAIBRANLY.FR

L’exposition propose des textes d’accompagnements en français et en anglais.

Horaires d’ouverture : Mardi, mercredi, dimanche : de 11h à 19h - Jeudi, vendredi, samedi : de 11h à 21h - Groupes : de 9h30 à 11h, tous les jours sauf le dimanche.

Fermeture hebdomadaire le lundi, sauf durant les vacances scolaires (toutes zones)

Accès : L’entrée au musée s’effectue par les 206 et 218 rue de l’Université ou par les 27 ou 37 quai Branly, Paris 7e.

L’univers flottant de Paul Jacoulet


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