Comment
construire trois logements sur une petite parcelle de 309 m2
Un exercice compliqué auquel s’est plié Frank Salama, Comment construire trois logements sur une petite parcelle de 309 m2 située à proximité des boulevards, dans un des passages discrets qui donnent son charme à l’est parisien.
La revue Construction moderne a donc consacré un édito sur cette composition verticale qui combine béton et verre, végétal et minéral, vues et intimité...
Cette opération de densification propose un objet urbain préservant les atouts de la maison individuelle. En imbriquant des unités d’environ 150 m2 présentant chacune un accès indépendant, un espace extérieur et une relation particulière au paysage, elle compose un havre de paix et de modernité dans un écrin de verdure, au cœur de la capitale.
Dans cet îlot de verdure, à l’abri de l’effervescence urbaine, ses 454 m2 de SHON se développent avec parcimonie selon une partition verticale. Respect du Plan local d’urbanisme (PLU) oblige, le bâtiment est implanté à 12 m en retrait d’une petite voie dont le revêtement de gros pavés rappelle un autre siècle. Il réinterprète le gabarit de la bâtisse voisine en composant un socle de trois niveaux, avant de s’élever ensuite, en correspondance avec les immeubles de fond de parcelle auxquels il est adossé. Sa façade se décline en trois cadres de béton brut qui semblent flotter dans une paroi de verre. Trois signes, comme un clin d’œil aux trois maisons qui constituent le programme de l’opération. Il ne s’agit cependant que d’une métaphore puisque les logements se répartissent différemment dans l’espace.
Côté rue, dissimulée par la clôture en acier, une première unité donne sur un jardin de devant. En enfilade, ouverte sur un patio, une seconde, également construite sur trois étages, occupe le fond de la parcelle. Plus haut, perché sur les deux planchers supérieurs, un troisième lot émerge tel un périscope au-dessus de la ville. Agrémenté d’un jardin suspendu, il surplombe le paisible quartier. Composé selon un plan en U, le projet tire parti des relations avec les fonds voisins tout en favorisant l’intériorité. Son ouverture offre des vues privilégiées vers les jardins tandis que, côté passage, la composition oriente vers un paysage plus urbain, marqué par l’horizon des immeubles qui bordent les boulevards.
Échappant à une composition purement formelle, les façades, presque immatérielles, sont le résultat d’une conception spatiale qui part de l’usage et des aménagements intérieurs pour aller vers l’extérieur. Ainsi, les vues, les lumières, les espaces à mettre en valeur ou à occulter sont sélectionnés et dictent la forme. « Quasiment depuis le fauteuil ou le lit », explique Frank Salama qui enchaîne en précisant sa démarche, ce qui m’intéresse c’est la relation entre l’habitant et le paysage.
Ce n’est pas tant le paysage ou le lieu qui compte mais la relation entre l’occupant et l’environnement extérieur ». Ce spécialiste de l’architecture japonaise, sur laquelle il dispense des cours dans les écoles d’architecture, explique également qu’au-delà de la tendance occidentale qui, traditionnellement, fait des façades un instrument de représentation, l’espace est ici construit en relation au paysage, en partant de la disposition future du mobilier.
Ainsi, « les meubles génèrent leur espace et chaque espace engendre son volume ». De cette approche résultent des vues principales, des vues secondaires, des vues obliques, des cadrages zénithaux. Architecturalement ces intentions se traduisent par une multitude de dispositifs : ici une baie toute hauteur/toute largeur, là une meurtrière, ailleurs une verrière pour échapper à un vis-à-vis et ouvrir une fenêtre sur le ciel.
D’un point de vue fonctionnel, l’opération est conçue comme un village. « Chacune des pièces devient un bâtiment à part entière et s’affiche distinctement depuis l’extérieur. » Dans les boîtes de béton brut, sont disposées les chambres ; derrière les baies vitrées, se développent les séjours. Tandis que la liaison entre l’espace public et l’espace privé se réalise par des rampes montantes et descendantes qui constituent autant de cordons ombilicaux entre les nids d’habitation et la rue. Sans renier une certaine parenté avec la promenade corbuséenne, cette hiérarchisation des parcours s’élabore à l’écart de la référence ou de la citation, selon un langage propre.
C’est une architecture perméable qui combine les pleins et les vides pour cadrer, occulter, mettre en scène des points de vue sur l’extérieur tout en évitant toute promiscuité entre les familles occupantes et les riverains. C’est pourquoi la notion de percement semble exclue du langage de Frank Salama qui positionne les plans dans l’espace et leur donne une juste place pour instaurer une relation de volume à volume, d’intérieur à extérieur, faite de lumière et d’ombre. On se préoccupe donc de l’usager en traitant autant la qualité des espaces que la relation au site et le confort intérieur. Dans un contexte aussi dense que celui de la capitale, une telle démarche implique une interprétation fine de la réglementation pour tenir compte des mitoyennetés, des retraits obligatoires et des seconds jours. Ainsi, en exploitant les moindres possibilités du Plan local d’urbanisme, l’architecte a imbriqué des volumes purs les uns dans les autres jusqu’à obtenir un bâtiment unitaire dans son architecture et pourtant multiple dans ses espaces.
Simplement reliés par un ruban de verre qui s’élève vers le ciel, les volumes de béton brut se détachent d’une composition dont la construction, efficace et pragmatique, articule des éléments minimaux : voiles de béton brut, baies vitrées et menuiseries en aluminium de teinte sombre. « La mise en œuvre s’est réalisée simplement » raconte l’architecte. Les coffrages ont été montés à l’échafaudage, sans grue. Le béton prêt à l’emploi a été coulé à la pompe, étage par étage. La finition brute de décoffrage des voiles porteurs a été préservée en disposant l’isolation thermique à l’intérieur tandis qu’au sud, les façades vitrées combinent les apports et les protections solaires par les avancées des cadres en béton. Les planchers en béton, équipés de chauffage par le sol, participent également de cette approche environnementale. Le chantier a été réalisé par une entreprise de taille moyenne, « ni vraiment artisanale, ni une major », mais un maçon participant au réseau développé de longue date par un architecte habitué aux petites opérations de logement.
Le projet est aussi celui de la rencontre entre un concepteur qui nourrit en permanence sa réflexion sur le logement collectif par ses recherches sur l’habitat particulier et un client passionné d’architecture. Ce dernier, amoureux du béton, projette déjà une future opération : « Je réaliserai un plafond en béton brut, j’aime les banches, l’impression des coffrages de bois sur le béton, la perfection des surfaces à laquelle on arrive aujourd’hui. La prochaine sera en béton autoplaçant. » Frank Salama opine du chef, conscient du bon goût de cet interlocuteur de choix, amateur des maisons californiennes des années 60 et auquel il fait partager sa passion pour le caractère intemporel, léger et flottant d’un certain esprit japonais.
Maître d’ouvrage : privé
Maître d’œuvre :
Franck Salama, architecte
BET structure : Ingenet
Entreprise gros œuvre :
Plamon et Cie
Surface : 454 m2 SHON
Coût : 1,25 M€ HT
D’après les textes d’Hervé Cividino
Crédits photographiques © Franck Salama