GLOBAL AWARD FOR SUSTAINABLe ARCHITeCTURe 2013 - 3ème ACTE : Al Borde Arquitectos
3ème acte du Global Award For Sustainable Architecture 2013, les quatre jeunes architectes de Quito. C’est une très jeune équipe que le Global accueille cette année avec Al Borde, créée en 2007 à Quito. Les deux premiers fondateurs, David Barragán, Pascual Gangotena, sont trentenaires; ils ont été rejoints en 2010 par Marialuisa Borja et Esteban Benavides, âgés aujourd’hui de 29 et 28 ans. Tous sont architectes, formés à la Pontificia Universidad Católica de Quito. Trois d’entre eux y sont aussi déjà enseignants, ce qui peut paraître rapide. Mais dans un pays volcanique, sismique, où la moyenne d’âge est de 25 ans et où l’instabilité politique et économique qui suivit la fin de la dictature en 1979 ne procure pas un grand sentiment de sécurité sociale, la prise de responsabilité survient peut-être plus vite qu’ailleurs. C’est même un sens aiguë de la responsabilité de l’architecte qui anime Al Borde, qui se consacre principalement à des projets d’auto-développement. L’agence travaille directement avec les populations, pour construire des écoles ou des équipements, là où l’état ne le fait pas - ou le fait mal.
« Al Borde est une agence d'architecture collaborative et expérimentale qui se consacre à la résolution de besoins concrets, en fonction des ressources disponibles, qu’elles soient sociales ou matérielles. L’agence travaille avec ce qu'elle trouve à sa disposition, cherchant à recomposer les situations préexistantes de la manière la plus simple et logique, sans les endommager. »
Les projets achevés par Al Borde sont peu nombreux encore. Quelques maisons, des écoles, de nombreux petits équipements, construits dans les régions côtières, pour des communautés qui ne semblent pas profiter de l’effet de ruissellement (trickle down) de la prospérité du tourisme ... Ce qui saute aux yeux quand on les découvre est bien sûr le croisement d’une programmation d’équipement moderne avec des systèmes constructifs et même une architecture de tradition populaire. L’école de la Nouvelle espérance (Nueva Esperanza), construite en 2009 pour un village de la province de Manabi, reprend par exemple un type, la tente sur pilotis, que les pêcheurs construisent depuis toujours, avec des branchages et des bambous. Un examen plus attentif révèle que sa volumétrie simple a été modifiée par les architectes : les troncs sont assemblés en une nouvelle structure tri-dimensionelle, qui permet de construire sur les versants de la tente des loggias en pointe de diamant. Elles élargissent et rehaussent l’espace intérieur pour le rendre plus propre à l’accueil du programme : une salle de classe avec sa bibliothèque. Enfin, l’histoire nous apprend que l’école a été construite en auto-développement, avec les habitants: «ces systèmes constructifs hybrides combinent le traditionnel et le contemporain; ils sont aussi le résultat de la gestion de l'énergie sociale et communautaire qui a permis de mener à bien le travail. »
© Esteban Ladena
Ce village n’avait jamais eu d’école et les adultes y sont analphabètes. Depuis que le pays a retrouvé une stabilité relative2, le gouvernement a relancé en 2008 une réforme éducative, avec un grand effort de construction scolaire. Mais dans les provinces, explique Al Borde, « la plupart de ces écoles sont construites en béton. Ces pavillons rectangulaires, avec leurs barreaux aux fenêtres, ressemblent plus à une prison qu'à une école et le taux de défection des élèves y est très élevé. »
Le contre-projet des architectes s’oppose bien sûr à ces unités médiocres, et c’est un premier niveau d’intervention critique; mais il s’inscrit aussi, et c’est tout le sens de leur remarque sur le taux d’échec, dans la recherche d’une architecture qui s’adapte à ces communautés, au moment-clé qu’elles abordent: l’accès au développement par l’instruction. Comment éviter que la construction de la première école, même si elle est attendue par les habitants, ne crée pas une rupture violente? Comment construire un équipement qui permette une pédagogie appropriée à cette situation ? En ouvrant la porte du projet à la réflexion sociologique et anthropologique, nous explique Al Borde. Et cette proposition ne s’arrête pas avec la livraison de l’école car les projets d’Al Borde sont à la fois une réponse locale et une contribution au débat sur le développement en équateur.
«Des écoles pour faire école», pour reprendre l’expression de Francis Kéré3, qui mène au Burkina Faso, à Gando, une expérience ayant des points communs avec celle d’Al Borde.
« Il était extrêmement nécessaire de concevoir l'espace selon les principes d'une école active. Elle devait rester intimement liée à son entourage proche et à son environnement naturel. L’espace devait pouvoir réveiller l’imagination des enfants, leur créativité, leur désir d'apprendre de nouvelles choses, au lieu d’être ressenti par eux comme un lieu de répression. Le projet a employé les matériaux et les modes de construction que la communauté utilise depuis toujours. Une plate-forme en bois posée sur les pieux de fondation, des parois en bambou, une structure en bois et une toiture en paille. La différence réside dans la conception et la conceptualisation de l'espace. Ce lieu d'éducation devait incarner l'apprentissage par l'action. »1
L’action, ce fut d’abord la construction elle-même. Les architectes avaient fabriqué de petites maquettes pour montrer aux habitants comment monter une structure plus complexe qu’à l’ordinaire. Puis le chantier s’est ouvert, avec des phases de formation, suivies des phases plus traditionnelles des finitions – fabrication des parois avec des écorces de bambou, taille et pose des chaumes... Dans ce village côtier, la forme de l’école a fait sens, comme en témoigne l’instituteur, qui pratique une pédagogie progressive dont les objectifs ont guidé la programmation spatiale: «la plus belle chose, c’est d’avoir une école qui ressemble à un bateau; les enfants y montent tous les jours, pour naviguer et découvrir de nouveaux mondes à partir de leur propre univers culturel, univers rempli de savoirs et de potentiels. Les enfants apprennent les sciences et les techniques, ils apprennent à valoriser la vie de leur village comme un point de départ, ceci grâce aux cours que dispense le meilleur de tous les professeurs : la nature. (...)
© Esteban Ladena
Un énorme changement dans les processus d'apprentissage des enfants s’est accompli depuis l’ouverture de l'école. L'action d'ouvrir la porte d'entrée est une leçon de physique. L'espace est généreux en toutes ses parties, ce qui permet à chaque enfant d’y trouver sa place et d’y organiser ses activités.»1
La démarche d’Al Borde entre en résonnance avec celle d’autres architectes du Global Award : on pense à l’»architecture d’émancipation» de Carin Smuts, aux workshops du Rural Studio en Alabama, dont Andrew Freear condense l’expérience sociale et écologique en une formule heureuse : «l’écologie ? Elle est tout simplement pour nous le fruit de la nécessité »...
Al Borde pourrait la reprendre : il est bien évident qu’ici la nécessité économique a réuni ses lois avec celles de l’anthropologie sous l’auvent de paille. Avec un budget moyen par projet qui n’atteint pas 1000 $, Al Borde travaille majoritairement hors du système marchand.
Cette scène mondiale du Global Award, nous l’organisons parfois, pour polariser ses échanges, en deux anode et cathode : les pays occidentaux et les pays du Nouveau Monde, avec leur vision spécifique des enjeux globaux, et leurs échanges. En présentant aujourd’hui Al Borde, changeons le jeu et rassemblons les architectes qui, où qu’ils oeuvrent, ont choisi le camp des déshérités: le quart-monde européen pour Patrick Bouchain, les townships sud-africains pour Carin Smuts, les sociétés rurales pour Francis Kéré ou Al Borde. L’épaisseur de la planète sépare les uns des autres mais une convergence insistante les réunit: pour concevoir une architecture alternative à des modèles qui ne parviennent plus à faire ruisseler le progrès sur ces populations, voire qui les écrasent, c’est leur métier même que ces architectes ré-inventent. Celui qu’ils inventent consiste à activer des processus plutôt qu’à livrer des produits. C’est une chaîne d’acquisition et de transmission de savoirs qu’il faut alors assembler, au lieu de simplement diriger une exécution de plans.
« Avant Al Borde nous nous demandions si un autre monde était possible ; la même question nous motive maintenant pour continuer à avancer. »
Et dans cette redéfinition, la jeune équipe a poussé l’expérience un cran plus loin, avec l’école Deuxième espoir (Esperanza Dos), menée en 2011 dans la même région. Pour ce programme plus important, les architectes ont imaginé et discuté, toujours avec de petites maquettes, une structure complexe en tétraèdes, qui permet de construire de plus grands volumes. Puis ils ont lancé le chantier avec un objectif différent : ne pas encadrer les travaux mais assurer simplement la formation et la transmission de l’innovation qu’ils apportent. Injecter en quelque sorte un certain nombre de propositions dans une tradition constructive vernaculaire que les habitants possèdent.
« Ici, la mer et la terre sont les supermarchés et les arbres sont les matériaux pour construire les maisons. (...) Nous avons décidé d’entrer dans ce monde, de comprendre comment on résout les problèmes directement, sans intermédiaires.
© Pascal Gangotena
Les ressources disponibles ont défini le projet: matériaux de forme irrégulière, outils de pêche et d’agriculture. Des artisans solides et compétents qui ne définissent pas l'exactitude en termes de cm. Des volontaires venus de la ville qui savent mesurer en cm mais ne savent pas construire. Un terrain aux limites floues. Il était clair que le projet se passerait de relevés topographiques, d'AutoCAD ou du Neufert.
Dans ces conditions, l’argent devient simplement une ressource parmi d’autres, à côté des ressources humaines et matérielles. Le système constructif, semi-complexe, permet de s'adapter aux variations du terrain, du travail et des matériaux. Il permet aussi la discussion, depuis la conception jusqu’aux décisions à prendre sur le chantier.
Chaque personne a reçu sa propre mission dans la construction, afin de pouvoir ensuite y progresser. Le processus de perfectionnement des techniques s’est alors engagé, pour former, optimiser les processus. Enfin, nous avons initié le transfert du savoir d’une personne à une autre, pour enrichir l'équipe.
Le chantier a duré une semaine. L'objectif était de construire un processus logique de construction collective et de faire comprendre la portée de ce système. Une fois que la communauté a compris le processus, notre présence n’a plus été nécessaire. Nous avons dit au revoir et quand nous sommes revenus, la communauté avait intégré le système. Une nouvelle aile avait été construite, les espaces modifiés avec planchers de bois franc et les murs de bambou. Les gens avaient accroché aux corniches les tessons de poterie qu’on trouve autour de la plage, comme un petit musée des cultures passées.
Dans « Nueva Esperanza », les écoliers apprennent à compter sur la communauté pour voler vers la connaissance abstraite, vers d'autres mondes. »
Al Borde a été créé en 2007. Pascual Gangotena (1977), David Barragán (1981), Marialuisa Borja (1984) et Esteban Benavides (1985) sont nés à Quito et ont fait leurs études d’architecture à la Pontificia Universidad Católica del Ecuador. P. Gangotena a cessé d’enseigner en 2011 pour se consacrer à Al Borde mais D. Barragan et E. Benavides sont toujours professeurs dans cette même Université. Ils mènent une activité soutenue de building-workshops, de conférences et aussi de performances en Amérique Latine: Pérou, Vénézuela, Brésil, Colombie, Argentine... Très présents dans les biennales latino-américaines – la dernière a eu lieu à Pampelonne, Espagne, en avril dernier. Al Borde a été lauréat du Schelling Architecture Prize en 2012.
© Pascal Gangotena
1er acte : José Paulo Sos Santos
4ème acte : Lake Flato Architects
5ème acte : MDW