Grosses tensions sur le compteur Linky, une surchauffe des portefeuilles
Dans le cadre de la grande consultation menée par l’UFC-Que Choisir en 2011, le niveau des tarifs de l’énergie était l’une des principales préoccupations des consommateurs (87% des sondés). Ceci est d’autant plus explicatif que les prévisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) avancent que les prix de l’électricité vont augmenter de plus de 30% d’ici 2017 alors même que les tarifs de l’énergie ont déjà explosé de plus de 30% depuis 2009 (22% sur l’électricité et 32% sur le gaz depuis 2009). La préoccupation des consommateurs ainsi que les prévisions d’augmentation des tarifs expliquent l’intérêt de l’UFC-Que Choisir pour les abonnements, composante essentielle de la facture d’électricité des foyers français.
L’abonnement, qui constitue une partie fixe dans la facture d’électricité quelle que soit sa consommation, n’est pas sans faire débat. En effet, dans son rapport d’activité de 2013, le médiateur propose de supprimer l’abonnement afin d’aider les ménages en difficulté qui ont une faible consommation. Dans une récente analyse des contrats d’électricité2, l’UFC-Que Choisir a également décelé plusieurs clauses litigieuses dont certaines autorisant le professionnel à s’exonérer de son obligation de conseil tarifaire envers le client.
L’étude inédite d’UFC-Que Choisir réalisée sur l’analyse des consommations électriques des ménages prolonge l’analyse juridique en s’intéressant aux conséquences économiques des lacunes du conseil tarifaire sur le prix payés par les consommateurs pour leurs abonnements. Cette étude dévoile que 55% des ménages, soit 15,1 millions de foyers français et 34 millions de personnes, ne disposent pas d’un abonnement adapté à leur manière de consommer.
Cette situation a des conséquences tarifaires importantes pour 18% des consommateurs qui paient de manière injustifiée une puissance d’abonnement trop élevée compte tenu de leur consommation d’électricité, ce qui entraîne un surcoût inadmissible qui atteint actuellement 35 millions d’euros par an.
En effet, lors de la souscription du contrat d’électricité pour l’ouverture d’un compteur ou le changement d’offre d’électricité, les fournisseurs sont les principaux interlocuteurs des consommateurs. Leur rôle dans cette étape est de conseiller leurs clients pour leur permettre de souscrire à la fois le type d’offre mais également la puissance la plus adaptée à leurs besoins. Or, les mesures réalisées par notre prestataire montrent que plus de 18% des consommateurs du panel sont surtarifés, c'est-à-dire qu’ils paient un abonnement avec une puissance trop élevée par rapport à leurs besoins réels. Dans le détail, la part des sursouscripteurs est, en toute logique, plus élevée dans les abonnements de puissances plus élevées. Ainsi comme le montre le graphique ci-après la part des sursouscripteurs atteint seulement 2% des abonnés pour une puissance de 6 kVA, alors qu’ils sont 23% pour les abonnements à 9 kVA.
Il n’existe pas d’outil facile pour estimer correctement la puissance appelée des ménages. La démarche reste donc complexe, et nécessite un examen complet des équipements et habitudes des clients. Le conseil réalisé par les fournisseurs d’électricité – quand il existe – est aujourd’hui trop limité pour permettre d’éviter ces cas de sursouscriptions. De plus, ce conseil ne devrait pas se cantonner au moment de la souscription : le comportement et les usages des ménages peuvent se modifier dans le temps et pendant le contrat (exemple : un remplacement d’un chauffage électrique, ou l’achat d’équipements moins énergivores entraînent une diminution de la puissance nécessaire).
Ajoutons que toute demande de changement de puissance par les clients entraîne une facturation par le gestionnaire de réseau, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur les consommateurs.
Le calcul, basé sur les tarifs réglementés 2012/2013, permet de se rendre compte qu’une erreur dans la puissance d’abonnement peut entraîner des surcoûts pour les consommateurs allant de 14€/an à plus de 84€/an.
De manière plus générale, l’impact d’une sursouscription de la puissance d’abonnement sur une facture peut alourdir les factures annuelles des consommateurs de 5 à 10%,
De plus l’étude UFC montre également que l’essentiel du problème des abonnements ne se limite pas aux sursouscripteurs. En effet, 37% des ménages sont en réalité des sous- souscripteurs, c’est-à-dire que leur puissance souscrite est inférieure à la puissance réellement appelée par leurs usages et leurs équipements. Les conséquences financières pour les gestionnaires de reseaux sont nulles puisque les tarifs de l’électricité, selon la loi, doivent couvrir les coûts (principe de couverture des coûts assurés par le TURPE). Par conséquent, les pertes liées aux consommateurs en sous-abonnement sont compensées par l’ensemble des consommateurs, via l’ensemble des abonnements.
En théorie, pour les consommateurs résidentiels, un dépassement de la puissance souscrite doit faire disjoncter le système électrique du consommateur. Mais la tolérance des systèmes électriques fait qu’il est actuellement possible de dépasser la puissance souscrite sans voir son alimentation coupée. Les coupures peuvent donc exister, mais de manière plus limitée qu’avec un système électrique moins souple.
Dans notre panel, les ménages sous-souscripteurs effectuent en moyenne un dépassement de puissance par semaine. Pour nombre d’entre eux, un suivi et une information cohérente permettraient de réduire ces dépassements.
Aujourd’hui donc, 18% des consommateurs paient au moins 35 millions de trop pour leur abonnement, tandis que 37% des consommateurs sont sous-tarifés. L’arrivée du compteur Linky, loin de diminuer les coûts pour les consommateurs, risque de faire exploser la facture globale, sans épargner ceux qui, aujourd’hui, paient trop cher.
Si les surconsommateurs - ces 37% de ménages français qui consomment actuellement à un niveau supérieur à leur puissance d’abonnement - sont aujourd’hui gagnants au niveau tarifaire, l’installation à venir du nouveau compteur « intelligent » Linky, prévue à partir de 2016, devrait se traduire par une explosion de leur facture de plus de 300 millions d’euros par an.
La mise en place de Linky devrait limiter les erreurs de sursouscription, voire même les faire totalement disparaître. Cependant, à l’heure actuelle, l’installation du compteur Linky n’entraînera pas de changement du contrat : les consommateurs auront toujours leur ancienne puissance d’abonnement mentionnée dans celui-ci. Par conséquent, les ménages ne disposant pas d’un abonnement adapté devront faire une demande de changement de puissance auprès d’ERDF.
A ces coûts explosifs d’abonnement, s’ajoute également le coût méconnu, mais qui va s’avérer faramineux, lié au changement du niveau de puissance suite à la mise en place de Linky. En effet, les ménages avec une puissance trop élevée qui souhaitent bénéficier d’une réduction de leur prix d’abonnement devront faire une demande de changement de puissance. Actuellement, la modification de la puissance nécessite le déplacement d’un agent d’ERDF pour changer le réglage du disjoncteur et relever l’index. Cette prestation est facturée 36,21€ TTC par le gestionnaire de réseau ERDF.
Au total, d’après les résultats du panel de l’étude et en conservant les tarifs actuels de changement de puissance, les 18% de ménages sursouscripteurs devront s’acquitter d’un montant de 179 millions d’euros pour bénéficier de l’abonnement qui correspond réellement à leurs usages... et obtenir 35 millions d’euros de réduction sur leur facture annuelle ! Il faudra donc plus de 5 ans pour que les consommateurs surtarifés puissent rentrer dans les frais de leur changement de tarif d’abonnement.
Une situation inacceptable : l’inadéquation entre le niveau consommé et la puissance souscrite provient pour l’essentiel d’un mauvais conseil - ou d’un conseil inexistant - du professionnel au consommateur. Par conséquent, il semble essentiel qu’à la suite de l’installation du compteur Linky les ménages soient autorisés - au moins pendant la première année d’installation du nouveau compteur - à changer gratuitement de niveau d’abonnement.
Par ailleurs, comme pour les sursouscripteurs, les sous-souscripteurs devront faire une demande de changement de puissance. Par conséquent, aux coûts d’augmentation de l’abonnement s’ajoute le coût (théoriquement unique) que devront supporter les consommateurs aujourd’hui sous-souscripteurs qui devront modifier leur contrat de distribution suite aux nouvelles mesures de puissance par le compteur Linky. Ces coûts sont loin d’être négligeables puisque – en se basant sur les tarifs actuels de modification – ces ménages devront s’acquitter de la somme de 366 millions d’euros pour « bénéficier » d’un niveau d’abonnement plus cher !
Au total donc, les 37% de ménages français actuellement sous souscripteurs se verront facturer 366 millions d’euros immédiatement après la mise en place du compteur Linky, puis 308 millions d’euros par an, soit un total faramineux de 674 millions d’euros sur la première année d’installation du compteur !
Alors qu’ERDF prétend depuis des années que la mise en place du compteur Linky sera gratuite pour les consommateurs, pour un coût de mise en place de 4,5 milliards d’euros, l’étude UFC permet donc de se rendre compte que c’est bien les consommateurs qui financeront cette mise en place. Au lieu d’être répercutées sur l’abonnement, les économies permises par le compteur seront conservées par ERDF. Le compteur n’est donc pas gratuit : les économies de consommation ne sont pas redistribuées au consommateur mais plutôt « sans surcoût » pour celui-ci. Afin d’atténuer une source potentielle de conflit entre les consommateurs et les fournisseurs d’électricité, qui aggrave les risques de mécontentement autour du Linky, l’UFC-Que Choisir demande la création d’une grille tarifaire à la « carte » afin de mieux prendre en compte le comportement réel des consommateurs, ainsi que la mise en place d’une période de gratuité limitée dans le temps sur la prestation de changement de puissance lors du déploiement des compteurs Linky.
Enfin pour rajouter aux nombreuses interrogations que soulève le compteur Linky, le concept du compteur communiquant pose un regard sur la collecte d‘informations détaillées sur notre consommation électrique, ce qui pose des problèmes de respect de la vie privée. En effet qu’en est-il sur a loi relative à l'informatique et aux libertés (loi du 6 janvier 1978) avec une collecte et un traitement de données présentant un caractère excessif, eu égard à l'atteinte à la vie privée, par rapport à la finalité recherchée ;
Ces informations seront transmises par les compteurs au distributeur du réseau d'énergie, c'est-à-dire à l'organisme en charge de la gestion et de l'entretien du réseau physique de distribution d'énergie (ex : ERDF pour l'électricité). Ce distributeur les transmettra ensuite aux fournisseurs d'énergie, qui s'en serviront pour facturer leurs clients, et pour leur proposer l'offre tarifaire la plus adaptée à leur consommation. Ils s'en serviront aussi pour prévoir l'énergie qui sera consommée, afin d'adapter leur capacité de production le plus précisément possible. En effet, l'énergie électrique ne peut pas être stockée. Cette information leur est donc très utile car elle permet de faire des économies et de moins polluer.
Les informations de consommation d'énergie transmises par les compteurs sont très détaillées et permettent de savoir beaucoup de choses sur les occupants d'une habitation, comme leur horaire de
réveil, le moment où ils prennent une douche ou bien quand ils utilisent certains appareils (four, bouilloire, toaster…)
Les distributeurs d'énergie devront donc apporter des garanties sérieuses sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité.
Le déploiement des compteurs communicants n'est donc pas sans risque au regard de la vie privée, tant au regard du nombre et du niveau de détail des données qu'ils permettent de collecter, que des problématiques qu'ils soulèvent en termes de sécurité et de confidentialité de ces données.