La Réhabilitation de la Cité de Refuge-Centre Espoir
Un grand projet de réhabilitation complexe a lieu à la Cité de Refuge, deux ans de travaux pour transformer ce lieu d'urgence et de réinsertion sociale, construit par Le Corbusier. Le but de cette réhabilitation est de permettre d’héberger de nouvelles personnes qui n’avaient, jusqu’alors, pas accès au centre d’hébergement. Une opération conduite par l’Architecte François Gruson (Opéra Architectes).
La Cité de Refuge n’accueille actuellement que des hommes seuls, tant en hébergement collectif qu’en chambres individuelles. Les travaux engagés permettront, à terme, d’accueillir également des femmes avec enfants ainsi que des familles, en leur créant des espaces dédiés.
Les locaux seront totalement rénovés ce qui permettra à l’édifice classé de retrouver les contours du projet initial de l’architecte Le Corbusier.
Une restructuration de la « Cité de Refuge », qui a soulevé de nombreuses réflexions notamment entre les différents protagonistes, l’Armée du Salut, propriétaire et utilisateur, l’Immobilière 3F, maître d’Ouvrage, la Fondation Le Corbusier, détentrice des droits moraux, et les différents services publics concernés, aussi bien du côté patrimoine que du côté social.
Fallait-il défendre un projet patrimonial, avec une vision stricte de la restauration du bâtiment, inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques depuis 1972, ou bien privilégier le projet social d’un accueil conforme aux exigences de dignité et de confort actuelles ? Fallait-il à tout prix restituer l’ « œuvre originale du Maître » comme le souhaitaient certains, ou au contraire la faire évoluer conformément à l’esprit qui a présidé à la conception en 1929 ?
François Gruson a donc pris le parti d’une approche modélisée tenant compte de l’aspect historique de l’édifice tant sur le plan architectural que sur le plan contextuel. Une complexité croisée du montage et des modes de financement d’une part, et de l’histoire mouvementée du bâtiment d’autre part. Pourtant, grâce à cette nécessaire conciliation, il s’agit bien d’un véritable projet d’architecture, plus encore que d’un projet « de restauration » ou « de restructuration ». « Projet d’architecture en ce qu’il exige de connaissance du site, de compréhension des exigences du programme, mais aussi en ce qu’il exige de véritable posture éthique quant à la relation entre l’habiter, fût-ce par des « sans abris » et la beauté, fût-elle celle de l’œuvre de Le Corbusier. »
Un édifice de l'Armée du Salut pour accueillir les nécessiteux, ordonné par la Princesse Singer-Polignac, célèbre mécène de la première moitié du XXe siècle, elle est l’une des grandes donatrices de la Fondation maréchal Foch, fille du non moins célèbre Isaac Merritt Singer, créateur des machines à coudre Singer. Elle choisit pour réaliser sa commande l’architecte Le Corbusier. L’édifice doit accueillir près de 500 personnes qui sera inaugurée le 7 décembre 1933 par le président de la République Albert Lebrun et Albin et Blanche Peyron, alors directeurs de l’Armée du Salut.
Il se situe 37 rue du Chevaleret, dans le XIIIe arrondissement de Paris, qui était hier un quartier excentré et se trouve aujourd’hui au cœur d’une des zones en développement rapide de la capitale.
Ce projet est révolutionnaire pour l’époque, et Le Corbusier emploie pour le mettre en œuvre des techniques tout aussi révolutionnaires, puisque cet édifice est un des premiers à être doté de l’air conditionné. Il est aussi recouvert d’une façade en verre, détruite par une bombe en 1944 et remplacée par des vitres coulissantes et un pare-soleil, plus adaptés aux populations accueillies.
En 1978, les dortoirs du Refuge sont divisés en espaces privatifs, et un bâtiment annexe est construit afin d’offrir 75 chambres supplémentaires. Il est appelé «Centre Espoir». En 1992, l’édifice de Le Corbusier est classé Monument historique.
Des projets de réaménagement sont actuellement en réalisation pour améliorer le cadre de vie des usagers, et aussi mettre aux normes de sécurité actuelles ce Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) désormais baptisé «Cité de Refuge-Centre Espoir».
C'est le premier bâtiment d'habitation entièrement hermétique, qui comporte en particulier un vitrage de mille mètres carrés sans ouvrant. L'intérieur est muni d'un système d'air pulsé qui a donné des résultats parfaits en hiver et largement satisfaisants en été. Cette installation d'air pulsé, qui est la clef de voûte de ce bâtiment et, en même temps, des thèses actuelles de Le Corbusier, a été faite avec des crédits extrêmement faibles. Les résultats sont suffisants pour permettre tous les espoirs.
Ce bâtiment est construit en ciment armé: ossature de poteaux et planchers de béton, avec hourdis de terre cuite. Les poteaux reposent sur des pieux de béton armé, enfoncés dans le sol jusqu'à une profondeur de 12 à 15 m. Le sol était instable, envahi par les eaux souterraines de la Seine.
Le terrain était extrêmement défavorable: il ne fournissait qu'une façade de 17 m au sud, sur la rue Cantagrel, et une autre façade, à l'est de 9 m sur la rue Chevaleret. Tout le reste était en mitoyen. Si l'on avait admis de bâtir selon la coutume, à plomb sur la rue, tous les locaux se seraient trouvés sur cours et tous orientés au nord.
Un procédé de classification nette des éléments de la Cité:
a) Un corps d'hôtellerie pour cinq à six cents lits, moitié pour les hommes, moitié pour les femmes.
b) Les réfectoires hommes et femmes se rapportant à l'hôtellerie.
c) La cuisine avec ses dépendances.
d) Le chemin de ravitaillement pour les camions. Tout ce groupe a constitué un élément de bâtisse prismatique de 75 m de long, adossé à la limite mitoyenne nord et ouvrant, par conséquent, toute sa façade entièrement au sud, sur 75 m de long, et à l'est, sur 9 m de large.
Ces deux façades furent constituées par des pans de verre hermétiques, passant au-devant des planchers de béton.
e) Le portique d'entrée sur la rue Cantagrel, avec le service de contrôle.
f) Les services publics de la Cité de Refuge, composés du hall de réception et d'enquête, pour tous les visiteurs désireux de s'orienter utilement (bâtiment circulaire, occupé par les officières des services sociaux).
g) Le hall général d'attente et carrefour de circulation.
h) Au-delà, les bureaux des officiers sociaux. Cet ensemble constitue une façon de hors d'œuvre, disposé au-devant du grand bâtiment de l'hôtellerie ; ce dernier sert, en somme, de fond au groupe très accidenté du portique et des services sociaux.
i) Grâce à la construction sur pilotis, on a pu récupérer un sous-sol en pleine lumière pour installer le dispensaire (médecin, infirmières, etc.) et, au-dessous encore, le vestiaire du pauvre (rotonde).
j) Face à ces services, la salle de réunion qui a pu être récupérée sous le hall d'entrée et dont le sol suit la déclivité du terrain.
k) Au-dessus du hall général, la bibliothèque des hommes.
1) Depuis le portique de la rue Cantagrel, une entrée particulière a été ménagée à l'ouest pour recevoir les vieilles - les épaves – qui ne doivent pas être mélangées aux autres de la Cité. De cette porte, on descend directement à un dortoir et à un réfectoire en relation avec la cuisine.
m) Enfin, depuis la rue Chevaleret, dont le niveau est de 3 m inférieur à celui de la rue Cantagrel, la route des camions, suivant une ligne sinueuse, débouche clans un petit jardin qui entoure la rotonde, sur lequel dégagent à l'ouest les ateliers de matelasserie.
n) Derrière l'atelier de matelasserie des femmes se trouve l'atelier de menuiserie et toutes réparations des hommes, dont l'entrée du personnel et des marchandises se fait au niveau de la rue Chevaleret par le jardin.
o) Couronnant le bâtiment de l'hôtellerie, se trouvent l'appartement du gouverneur de la Cité et les appartements du personnel.
p) Un solarium occupe la toiture de l'hôtellerie.
Comme l'indique la maquette, le bâtiment de l'hôtellerie se présentait sous la forme d'un prisme pur, tombant à pic sur la rue Chevaleret, mais le Conseil Supérieur des Bâtiments civils, présidé
par M. Nenot, architecte actuel du Palais des Nations à Genève, refusa d'accorder cette tolérance, en invoquant le règlement des gabarits. Les architectes demandèrent le bénéfice de tolérance
esthétique, parfois accordé pour édifices publics tels que grands magasins, églises, etc. Le Conseil Supérieur des Bâtiments civils répondit que cette tolérance pouvait être accordée pour des
coupoles ou des clochers, mais que la ligne droite invoquée ici ne tombait pas sons le coup de l'esthétique.
Par la même occasion, le Comité Supérieur des Bâtiments civils refusait également l'autorisation de construire le dernier étage du pan de verre qui devait abriter la crèche, sous prétexte que la
ligne de corniche serait dépassée de 40 cm. Les règlements admettent une saillie de corniche pouvant aller à 1 m; le projet ne comportait aucune corniche et, par conséquent, se trouvait encore à
6o cm en retrait des saillies autorisées. Malgré cela, le refus était formel. Néanmoins, pour pouvoir réaliser l'étage de la crèche, les architectes eurent l'idée inattendue d'incliner leur
façade de 4o cm sur l'intérieur, depuis le bas jusqu'en haut; ainsi, l'obstacle était contourné: la façade est inclinée de 40 cm, personne ne s'en aperçoit. On peut même dire davantage : c'est
que cette inclinaison donne à l'ensemble du bâtiment une impression de légèreté indiscutable.
L'inauguration du bâtiment eut lieu en décembre 1933, par le Président de la République, en une période de froid effroyable qu'on n'avait pas connu depuis 30 ans. L'opinion était très alertée et
craignait que le grand vitrage ne fût une source de refroidissement dangereuse. La réalité est tout le contraire: un vitrage orienté au sud est une source de calories inestimable et constitue au
contraire une grande économie tant dans l'installation des appareils de chauffage que dans la consommation de ceux-ci.
Le pan de verre, par contre, est périlleux en été si les méthodes dites de "respiration exacte" ou "air vivant" ne sont pas appliquées. Mais si un circuit d'air est établi à l'origine, dans une
des parties fraîches du bâtiment, le vitrage n'intervient plus comme agent de malaise, puisque les poumons des habitants sont constamment remplis d'un air agréable en mouvement qui ne fait que
passer.