Versailles et l’antique
Du 13 novembre 2012 au 17 mars 2013 - Salles d’Afrique et de Crimée.
Souvent qualifié de «Nouvelle Rome», le château de Versailles est une référence permanente à l’Antiquité et à la mythologie, tant par le goût des différents souverains pour leur collection d’antiques que par l’esthétique qui a présidé à la création du château et de ses décors. l’exposition «Versailles et l’antique» est l’occasion unique de rassembler plus de deux cents œuvres (sculptures, peintures, dessins, gravures, tapisseries, pièces de mobilier et objets d’art) provenant des principales collections françaises, du musée du Louvre et de Versailles. Pour la première fois depuis la révolution, les antiques les plus prestigieux reviennent au château dans une scénographie théâtrale et spectaculaire.
Versailles fut une nouvelle Rome à plusieurs titres : par sa démesure, par son ambition de traverser les siècles, par les multiples références aux grands modèles de l’Antiquité. Au XVIIe siècle, cette période constitue un absolu indépassable, avec lequel les souverains les plus ambitieux ont voulu rivaliser : c’est pour renouer avec cette grandeur que Louis XIV a créé Versailles comme siège du pouvoir.
L’antique, c’est d’abord un ensemble d’œuvres, de témoignages matériels et artistiques, de reliques d’une glorieuse civilisation disparue. Tous les puissants du XVIIe siècle les convoitent. Plus que tous les autres souverains européens, Louis XIV a cherché à acquérir les pièces antiques les plus prestigieuses ou à les faire copier. Versailles en a été le sanctuaire : statues et bustes des grands appartements et des jardins, camées et médailles et petits bronzes du cabinet du roi... La collection rassemblée à Versailles offre la vision d’une Antiquité recomposée pour la gloire du roi.
En dehors de sa présence à Versailles, l’Antique a été un principe fécondant et stimulant pour tous les créateurs qui se sont succédés à Versailles. Les modèles antiques universellement connus, notamment par la gravure, ont été assimilés et réinterprétés. Les artistes se les sont réappropriés au point que leurs œuvres pouvaient prétendre surpasser les originaux. L’influence de l’Antique a touché tous les champs artistiques. L’architecture, les jardins, le décor, l’art de l’éphémère renvoient parfois à des modèles précis facilement identifiables.
Au-delà des rapports formels avec l’esthétique antique, les décors de Versailles et de Marly ont mis en scène les dieux et héros de la mythologie et de l’histoire. Les palais et leurs jardins constituent un univers dominé par la figure d’Apollon, qui règle les heures du jour, les saisons de l’année, les tempéraments des humains. Mais bien d’autres divinités et héros de l’Antiquité incarnent la vision politique de Louis XIV et de ses successeurs.
Pier Luigi Pizzi, metteur en scène italien de théâtre et d’opéra, a conçu la scénographie de l’exposition tel un décor qui évoque des atmosphères. Une exposition est, selon lui, un spectacle où les œuvres dialoguent comme des acteurs pour stimuler la curiosité, ménager la surprise et susciter l’émotion des visiteurs.
Salle 1 - Galerie de Pierre Basse
Présence de l’antique à Versailles
Pour la première fois depuis la révolution, les sculptures antiques les plus prestigieuses qui ont orné le palais et les jardins sous l’Ancien Régime retournent à Versailles. À l’entrée de l’exposition, l’une des plus spectaculaires est la statue d’Isis, qui se trouvait dans la rotonde de l’Orangerie. À l’issue de l’exposition, cette œuvre sera déposée par le Louvre et retrouvera ainsi son emplacement d’origine à Versailles. Dans la galerie de pierre basse sont aussi présentées, sur des socles hauts et alternant avec des ifs, les huit sculptures actuellement connues qui proviennent du bosquet de la Salle des antiques. Au-delà, les Muses ayant fait partie du décor des jardins de Marly forment également un ensemble.
Au bas de l’escalier sont rassemblées les pièces maîtresses : la Diane de Versailles, présente dans les collections royales depuis le XVIe siècle, la Vénus d’Arles, donnée par la ville d’Arles à Louis XIV, l’Apollon lycien, acheté en 1680, et, acquis de haute lutte à Rome en 1686, le Cincinnatus et le Germanicus Savelli.
Cincinnatus savelli ou Hermès rattachant sa sandale - D’après une œuvre créée vers 320 av. J.-C. (?) par Lysippe
- IIe siècle apr. J.-C. (?), Statue, marbre, H. 161 cm ; l. 84 cm ; pr. 57 cm Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines.
Chef-d’œuvre longtemps isolé des collections royales françaises, la statue avait suivi l’itinérance de la cour des rois de France. Selon le témoignage du représentant du roi d’Espagne, Don Martin de Aragón y Gurrea, duc de Villahermosa, le pape Paul IV Caraffa, cherchant à obtenir le soutien du roi de France pour chasser les Espagnols de Naples, avait offert la statue à Henri II en 1556. Malgré le récit de Sauval, qui écrivit qu’elle « fut d’abord placée au château de Meudon », celle-ci décora, à l’époque du règne de Charles IX au moins, le jardin de la Reine à Fontainebleau où elle fut remplacée par une réplique en bronze. Puis, durant presque cent ans, de 1602 à 1696, elle rejoignit le Louvre et les Tuileries. Sous Henri IV, elle fut d’abord placée dans la salle des Antiques du Louvre pour laquelle elle fut restaurée par Barthélemy Prieur en 1602. Puis, au début du règne personnel de Louis XIV, elle décora l’appartement bas du roi aux Tuileries, où elle fut gravée par Mellan en 1669. Elle figura dans la niche centrale de la galerie des Glaces de Versailles de 1696, au moins, à 1798, date à laquelle elle revint au Louvre après un siècle passé à Versailles.
On ignore cependant l’origine exacte de cette sculpture. On avait imaginé au XVIIe siècle qu’elle figurait la Diane d’Éphèse, associant ainsi à la statue la renommée de ce sanctuaire qui comptait pour l’une des sept merveilles du monde antique. On a pensé un temps qu’elle proviendrait de Némi, l’antique Nemus Dianae, principal sanctuaire de la déesse dans le Latium, mais la statue de culte dont les fragments ont été découverts au XIXe siècle par des archéologues britanniques révéla un type statuaire très différent. On peut donc suggérer qu’elle fut découverte à Rome même dans la première moitié du XVIe siècle sans préciser si elle ornait une demeure impériale, un bâtiment public ou un sanctuaire. Nous ignorons également dans quel état de conservation la statue a été trouvée car plusieurs campagnes de restauration ont fortement modifié son apparence. Le froid poli doit remonter à l’intervention de 1602 bien documentée de Barthélemy Prieur puisque son contrat en fait état.
La tête et les pattes de l’animal sont par ailleurs refaites au point qu’on a douté de son identité. Le port de bois de ce cervidé de petite taille, au sexe féminin clairement indiqué, est attesté dans l’Antiquité pour la biche de Cérynie. Pourtant, d’autres répliques antiques qui reproduisent le même type statuaire, à Leptis Magna notamment, montrent la déesse accompagnée d’un chien.
Cette statue de Diane chasseresse a été très admirée pour l’audace de sa composition et le dynamisme de son attitude. La tête impassible, fortement tournée vers l’épaule droite mais qui semble ignorer la main droite tirant une flèche du carquois, s’oppose au bras gauche tendu en avant accompagnant la vigoureuse enjambée. Le vêtement, un chiton fin à rabat remonté pour faciliter la marche rapide, participe du même mouvement. Le rendu précis de la matière gaufrée de l’étoffe donne de la nervosité à l’ensemble comme le surprenant repli au-dessus du genou gauche. Le manteau, roulé pour servir de ceinture haut placée sous les seins, reprend la composition : le pan qui tombe de l’épaule gauche rejoint en s’incurvant la cuisse droite, soulignant l’inclinaison du corps de la déesse. La multiplicité des points de vue n’est que la conséquence de cet éclatement de la figure dans l’espace. Les mêmes qualités plastiques se retrouvent dans l’Apollon du Belvédère, connu et admiré depuis 1509, au point que l’on n’a pas hésité à associer les deux statues en pendant, imaginant qu’elles figureraient les deux Létoïdes participant au massacre des Niobides. Les originaux que reproduisent ces deux statues ont été attribués à Léocharès, sculpteur athénien du milieu du IVe siècle avant J.C. connu pour avoir travaillé au Mausolée d’Halicarnasse.
Jean-Luc Martinez, directeur du département des Antiquités grecques et étrusques et romaines au musée du Louvre
Salle 2 - Salle de Constantine
Le Palais du Soleil
Louis XIV a fait de Versailles un véritable palais du Soleil, demeure d’Apollon exerçant ses influences bénéfiques sur la terre. Selon une vision du monde héritée de l’Antiquité, les rapports harmonieux entre les saisons, les éléments, les planètes, sont représentés dans les décors du château et des jardins de Versailles.
Au centre de la salle, le groupe de Latone et ses enfants, Apollon et Diane, provient de la principale fontaine des jardins. Il met en scène la protection accordée par Jupiter, le souverain des dieux, à celle qui, selon le récit mythologique, le supplie de lui venir en aide.
De part et d’autre de ce groupe sculpté, figurent rassemblés pour la première fois, quatre tableaux des saisons, commandées par Louis XIV, qui ornaient le grand salon du pavillon royal de Marly. Dans la tradition antique, chaque saison est symbolisée par une divinité de la mythologie : Flore pour le printemps, Cérès pour l’été, Bacchus pour l’automne et Éole pour l’hiver.
Latone et ses enfants - Gaspard (1624-1681) et Balthasar (1628-1674) Marsy - 1668-1670 Groupe, marbre, H. 207 cm ; l. 156 cm ;
pr. 130 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Quoique conservé en réserve depuis plus de trente ans, ce groupe de marbre est sans doute une des œuvres les plus célèbres de Versailles. Il fut conçu en même temps que le bassin d’Apollon, à l’extrémité occidentale de l’Allée royale : tous deux illustrent le mythe solaire sur l’axe principal des jardins. Il constitue la première réalisation de grande ampleur en marbre de Carrare pour Versailles. De 1670 à 1980, et depuis lors par l’intermédiaire d’une copie fidèle, il orne le centre de la grande perspective est-ouest des jardins et, depuis 1689, domine l’Allée royale.
L’épisode représenté par les frères Marsy est tiré des Métamorphoses d’Ovide. Poursuivie par la jalousie de Junon, Latone, mère de Diane et d’Apollon, traverse la Lycie dans sa fuite. Elle s’arrête près d’un étang pour se désaltérer, mais les paysans du voisinage tentent de l’empêcher de boire. Face à leurs menaces,
Latone implore le secours de Jupiter, le père de ses enfants. Aussitôt, les paysans lyciens sont transformés en grenouilles et en crapauds. Tourné à l’origine vers le Château, ce groupe de marbre fut disposé au centre d’un bassin peuplé de paysans en cours de mutation et de grenouilles: l’ensemble illustrait le moment précis de la métamorphose, comme figé par un cliché photographique. Venant de la terrasse du Château, qui surplombe le bassin, le visiteur découvrait Latone, qui semblait le supplier de lui venir en aide. Entre 1687 et 1689, le bassin fut profondément remanié par l’architecte Hardouin-Mansart : le groupe central, désormais tourné vers l’ouest, fut juché au sommet d’une pyramide de marbre composée de quatre degrés de forme ovale, sur lesquels prirent place les paysans et les grenouilles d’origine, auxquels furent ajoutés de nouvelles grenouilles et des lézards.
Aucun commentaire du temps ne permet d’établir que le bassin de Latone constitue une allusion à la punition des Frondeurs révoltés contre l’autorité royale. En revanche, le guide de Combes insiste sur l’opposition entre la Beauté, symbolisée par le groupe de marbre, et ceux qui, comme les grenouilles de plomb, ne la reconnaissent et ne la respectent pas. Ainsi, le programme du bassin montre non seulement la protection divine accordée à Apollon, symbole du souverain, mais aussi, de manière plus générale, la victoire de la civilisation, sculptée dans la blancheur du marbre, sur les forces monstrueuses de la révolte, qui luttent contre l’ordre divin.
C’est également sur le plan formel que l’œuvre des Marsy est tributaire de l’antique, comme l’a relevé Thomas Hedin. Par sa pose, la figure de Latone évoque l’attitude protectrice de Niobé, l’élément principal du célèbre groupe des Niobides Médicis. De même, la façon dont le drapé de son vêtement semble glisser sur ses hanches, à peine retenu par la taille, rappelle celui de la Vénus d’Arles.
Alexandre Maral, conservateur en chef chargé des sculptures au château de Versailles.
Salle 3 - salle du Maroc
Héros et héroïnes antiques
Les grands hommes de l’Antiquité ont servi de modèles pour les souverains de Versailles. C’est pourquoi on rencontre dans les décors du Château les figures d’Alexandre le Grand bien entendu, mais également de Trajan, d’Auguste, d’Alexandre Sévère, de Scipion ou de Cyrus, le célèbre souverain de Perse.
Les femmes célèbres de l’Antiquité n’ont pas été oubliées à Versailles. De nombreuses héroïnes sont ainsi représentées dans les voussures du Grand Appartement de la reine. Au fond de la salle, une peinture monumentale de Rubens montre Thomyris, reine des Scythes, qui a vaincu Cyrus et qui fait plonger sa tête coupée dans un vase rempli de sang, lui disant de s’en rassasier. Ce tableau était présenté derrière le trône royal dans le salon d’Apollon à Versailles comme un avertissement pour le roi l’incitant à modérer sa soif de conquêtes.
Versailles étant un abrégé du monde antique, les principales cités y étaient représentées par les œuvres et les décors: Rome, mais aussi Babylone et Rhodes, qui sont évoquées par des tapisseries monumentales.
Le Triomphe d’Alexandre ou l’entrée dans babylone - Tenture de l’Histoire d’Alexandre d’après Charles Le Brun (1619-1690) ;
livrée au Garde-Meuble entre le 17 nov. 1670 et le 12 août 1676 Manufacture des Gobelins Tissage avant 1670 - Laine, soie, argent et or, H. 473 cm ; l. 800 cm et le 12 août 1676 ; no 74 des
tentures à or des collections de Louis XIV ; atelier de haute lisse de Jans père, Jans fils, ou Jean Lefebvre Paris, Mobilier national
Les premiers Bourbons, Henri IV et Louis XIII, avaient associé leur nom à Hercule, voire à Constantin le Grand pour le second. Peut-être pour s’en distinguer, Louis XIV préféra, dès 1659 suivant le témoignage de La Mesnardière, s’identifier à Alexandre le Grand
(356-323 avant J.-C.), dont il découvrit les hauts faits en lisant le récit que l’historien Quinte-Curce lui avait consacré. L’intérêt du roi pour ce « héros épique » est confirmé par la commande qu’il passa l’année suivante à Charles Le Brun de La Famille de Darius aux pieds d’Alexandre, premier tableau d’un cycle monumental relatif au conquérant macédonien, complété plus tard par l’artiste de quatre autres compositions (Le Passage du Granique, Le Triomphe d’Alexandre, La Bataille d’Arbèles et Porus blessé devant Alexandre ; musée du Louvre), qui fut bientôt transposé en tapisserie aux Gobelins. Le Triomphe d’Alexandre, modèle de la tapisserie exposée, qui décrit l’entrée victorieuse du conquérant dans Babylone, après qu’il eut vaincu l’armée perse de Darius à Arbèles, fut composé par Le Brun avant 1665. Considérant le travail du peintre, les auteurs anciens ont souvent noté les scrupules archéologiques dont celui-ci fit preuve pour décrire les personnages et leurs vêtements. Ainsi, suivant Perrault, l’artiste avait fait en Italie « une estude particulière, sur les bas-reliefs antiques, de tous les habillemens, de toutes les armes et de tous les ustensiles dont se servoient les Anciens selon les différens pays [de sorte que personne] n’a mieux observé [que lui] ce que les maistres de l’Art appellent le costume. Pour s’en convaincre, il ne faut que voir les cinq grands tableaux qu’il a faits de l’Histoire d’Alexandre ».
Toutefois, les sources visuelles de Le Brun pour reconstituer la Babylone antique se trouvent surtout dans certaines grandes créations de la Renaissance, comme Les Triomphes de César d’Andrea Mantegna (Hampton Court) et la suite tissée de l’Histoire de Scipion de Jules Romain. Par ailleurs, Le Brun a suivi fidèlement le récit de Quinte-Curce traduit par Vaugelas, paru en 1653, selon lequel Bagophanès, le gardien de la citadelle et du trésor royal, « avoit fait joncher les chemins de fleurs et dresser des autels d’argent de chaque costé, qui ne fumoient pas seulement d’encens, mais de toutes sortes de précieuses odeurs. Après luy, suivoient ses présens. C’estoit des troupeaux de bestes et des hardes de chevaux, avec des lions et des panthères que l’on portoit dans leurs cages. Les mages marchoient en suite, entonnant des hymnes à leur mode ; puis les Caldéens, et d’entre les Babyloniens, les devins et les musiciens, chacun jouant de sa sorte d’instrument [...]. La cavalerie babylonienne venoit la dernière, en un si pompeux appareil, hommes et chevaux, que l’excès en alloit au-delà mesme de la magnificence. Le roy au milieu de ses gardes fit marcher le peuple à la queue de son infanterie et sur un chariot entra dans la ville et de là au palais, comme en triomphe ».
Salle 4 - Première salle de Crimée
Le Parnasse
Le thème d’Apollon et des muses sur le mont Parnasse permet d’évoquer la protection que le souverain français accordait aux artistes: Versailles en est le plus beau reflet. La grande tapisserie du Parnasse, réalisée d’après Mignard, montre un élément de la galerie du château de Saint-Cloud, demeure du frère de Louis XIV. Elle a orné l’antichambre du Grand Couvert de la Reine à Versailles.
Les muses étaient également présentes dans le décor de l’escalier des Ambassadeurs, le grand escalier d’apparat du château de Versailles. Les grands cartons des muses Euterpe et Melpomène sont des projets pour ce décor malheureusement détruit au milieu du XVIIIe siècle.
Selon un premier projet, le parterre d’Eau situé devant la façade du château devait illustrer le thème d’Apollon régnant sur le Parnasse, mais aussi présidant à l’ordre du monde, symbolisé par un déploiement d’allégories.
le Parnasse - Tenture de la Galerie de Saint-Cloud d’après Pierre Mignard (1612-1695) ; Manufacture des Gobelins atelier de haute lisse de
Jean Lefebvre ; livrée au Garde-Meuble le 31 mai 1704 ; no 119 des tentures à or des collections de Louis XIV Tissage en 1692-1701 Laine, soie et or, H. 472 cm ; l. 621 cm Paris, Mobilier
national
La tenture de la Galerie de Saint-Cloud d’après Pierre Mignard est l’une des plus brillantes réussites des Gobelins sous Louis XIV, comme en témoignent encore aujourd’hui la perfection de son tissage et l’éclat de ses coloris. C’est pour Monsieur, frère de Louis XIV, que Pierre Mignard, le plus grand peintre du règne avec Le Brun, exécuta le décor de la voûte de la galerie du château de Saint-Cloud. Achevé par l’artiste en 1678, cet ensemble décoratif, comprenant dix-neuf panneaux autour du thème d’Apollon et des Saisons, malheureusement détruit en 1870, fut très vite reconnu comme son chef-d’œuvre. Le sujet pourrait avoir été trouvé dans Le Songe de Poliphile, un roman mythologique publié à Venise pour la première fois en 1499. Lors d’une visite mémorable qu’il fit à Saint-Cloud en 1680, Louis XIV prononça à propos du décor brossé par Mignard ce mot célèbre : « Je souhaite fort que les peintures de ma gallérie de Versailles répondent à la beauté de celles-ci. » La phrase fait ici allusion à la galerie des Glaces de Versailles qui n’en était encore qu’à son stade d’élaboration. Il a souvent été admis que c’est pour son compte personnel que Louvois, surintendant des Bâtiments du roi depuis septembre 1683, qui soutenait l’art de Mignard, fit transcrire en tapisserie le décor peint de Saint-Cloud dès 1686. Cependant, comme la première tenture, peu après son achèvement, fut montrée au roi à Versailles en 1692, ce fait reste incertain. Tout porte à croire en effet que le tissage avait été entrepris pour démontrer l’aptitude de Mignard en matière de tapisserie afin de lui permettre de succéder à Le Brun à la direction des Gobelins. Marquée par la fresque de même sujet composée par Raphaël dans la chambre de la Signature au Vatican (1511), la scène figurée sur la tapisserie évoque Apollon, dieu de la poésie et de la musique, entouré des Muses, réunis sur le mont Parnasse, telle qu’elle apparaît sur l’une des extrémités de la galerie créée pour Monsieur et dont l’iconographie pouvait facilement être transposée sur Louis XIV. Le modèle de la somptueuse bordure imitant un grand cadre en relief est l’œuvre de Rodolphe Parent, un collaborateur de Mignard. À la demande expresse du roi, des draperies de pudeur, que l’on peut encore facilement déceler sur la pièce, furent ajoutées par les Gobelins au moment de sa livraison.
Jean Vittet, inspecteur des collections du Mobiler national
Salle 5 - Deuxième salle de Crimée
Matériaux antiques
L’influence de l’Antiquité ne s’est pas limitée aux sujets des œuvres et des décors, mais elle s’est étendue aux matériaux employés : marbre, bronze, albâtre, porphyre, faisant de Versailles une nouvelle Rome.
Les vases de porphyre et de marbre jaune antique présentés sur la table et les consoles ont fait partie du décor de la galerie des Glaces. Celui de marbre bleu turquin était dans le salon de la Guerre. Les aquarelles sont en rapport avec le décor de lambris de marbres de couleurs de l’appartement des Bains, qui était au rez-de-chaussée du corps central du château.
Les jardins accueillirent aussi des marbres de couleur, comme l’illustre le bosquet de la Colonnade, représenté à la gouache par Cotelle, mais aussi de nombreuses sculptures en bronze, comme les deux copies d’après l’antique, fondues par les frères Keller, provenant de l’Orangerie.
Vase en marbre bleu turquin - Valerio Frugone (documenté de 1683 à 1703) - Vers 1683-1684 ou 1686-1692 Marbre bleu turquin,
H. 91 cm ; l. 61 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
«Le vase de marbre gris [...] que vous marquez s’apeler marbre de Bardille et avez payé à Valério Frugone cent vingt-cinq escus a été trouvé très beau. Le roy sera bien ayse d’avoir son pareil et d’en avoir d’autres de ce mesme marbre», écrit Louvois au directeur de l’Académie de France à Rome (Louvois II, no 1027) en avril 1685, à la réception d’une cargaison partie de la Ville éternelle, quelques semaines plus tôt, et contenant ce précieux vase. Ce marbre de bardille dont le nom est la francisation de l’italien bardiglio était tiré des carrières de Carrare et sera plus connu en France sous le nom de bleu turquin. C’est au fournisseur habituel en marbre de l’Académie, Giovanni Martino Frugone, que le directeur s’était adressé et à son frère, Valerio Frugone, qu’il avait passé commande d’un vase. Un dessin coté fut envoyé à Versailles pour être soumis au roi, conformément au protocole mis en place par Colbert, « afin qu’il ne fust rien fait de ces sortes d’ouvrages qui ne fust agréable à Sa Majesté et qu’elle n’en eust veu les desseins avant que de les faire exécuter ». Le dessin est toujours conservé dans le fonds Robert de Cotte à la Bibliothèque nationale. La silhouette générale en calice du vase reprend celle des vases Médicis et Borghèse, parangons du vase antique depuis le XVIe siècle. Mais le sculpteur a su renouveler le modèle, abandonnant la frise à personnages, caractéristique des cratères antiques, au profit d’un décor plus librement ornemental, mieux adapté aux marbrures de la pierre. La découverte à Rome vers 1680 d’un cratère antique au corps orné de rinceaux, qui sera connu sous le nom de cratère Albani, n’est peut-être pas étrangère à cette nouvelle inspiration.
Évoquant le culte à Bacchus, des festons de branches de lierre ornent le corps du vase, tenus dans la bouche de « têtes de Silènes » et accrochés aux anses en volutes rappelant celles d’un chapiteau. La finesse du grain de la pierre a permis un rendu sensible des tiges et des feuillages délicatement nervurés. Le sculpteur a joué avec talent du contraste entre les reliefs mats au grain adouci et les fonds polis, accentuant l’aspect naturaliste des éléments sculptés. Le thème bachique, référence explicite aux grands cratères antiques, est commun à d’autres dessins de vases commandés à la même époque, tels ceux de jaune antique, en 1686, dus au sculpteur Giovanni Antonio Tedeschi .
Réglé 125 écus le 6 mai 1684 par le nouveau directeur, Mathieu de La Teulière, le vase arriva finalement à Versailles en avril 1685 et, fort de l’accueil favorable qu’il reçut de Louis XIV, un second du même modèle fut commandé, pour lequel un premier acompte fut versé le 25 mai 1686. La fabrication du second vase devait toutefois prendre beaucoup plus de temps puisqu’il ne fut achevé que six ans plus tard. C’est seulement par une lettre du 26 février 1692 que La Teulière pouvait annoncer : « Le vase de bardille à volutes, dont le pareil fut envoyé en France par ma première voiture, est enfin achevé. » Le second vase resta dans les salons de l’Académie de France en attente de l’éventuel départ des œuvres commandées par le roi, que l’état de guerre quasi permanent depuis 1688, provoquant insécurité sur les mers et crise financière en France, maintenait bloquées en Italie. Le transport, plusieurs fois reporté, n’eut lieu qu’au printemps 1715 et le vase ne fut finalement présenté à Louis XIV qu’en août, à Marly, quelques semaines avant la mort du roi. Le premier vase avait été placé dans le salon de la Guerre, où il est mentionné par Félibien en 1703 dans sa Description sommaire de Versailles : « trois vases dont deux sont de porphire, & le plus grand de marbre gris artistement travaillé, se trouvent posez sur des socles du côté de l’apartement ». À l’arrivée du second vase, la paire fut finalement exposée dans le salon de la Paix, où les vases sont décrits dans l’inventaire du château de 1722.
Bertrand Rondot, conservateur en chef chargé des objets d’art au château de Versailles
Salle 6 - Petite galerie
Sculptures inspirées de l’antique
La sculpture antique a été une source d’inspiration constante pour les artistes de Versailles et de Marly. Pour les jardins de cette résidence satellite de Versailles, Louis XIV fit réaliser un programme original autour de Diane et de ses compagnes : entre autres, le sculpteur Flamen réalisa successivement les groupes de Diane et de Callisto.
Également pour Marly, afin de constituer un groupe de figures s’élançant à la course, Lepautre copia une fameuse sculpture antique représentant Atalante et Coustou réalisa Hippomène lancé à sa poursuite.
Réalisées l’une pour Versailles, l’autre pour Marly, deux statues de Vénus callipyge (c’est-à-dire aux belles fesses) ont été copiées d’après l’un des plus célèbres modèles antiques : elles présentent des variantes significatives, l’une ayant les fesses couvertes d’un voile pudique.
Atalante - Pierre Lepautre (1659/1660-1744) / 1703-1704 Statue, marbre, H. 128,9 cm ; l. 57 cm ; pr. 98 cm Signée sur le tronc
d’arbre à gauche : « lepautre fecit 1704 » Paris, musée du Louvre, département des Sculptures
La statue antique se compose d’une tête et d’un torse en marbre du Pentélique complétés pour en faire une statue d’Atalante. Les restaurations sont très importantes, le visage et tous les membres avec le tronc d’arbre qui en assure la stabilité. Piganiol affirme que cette restauration fut faite par François Duquesnoy. Acquise à Rome pour le cardinal Jules Mazarin (1601-1661), elle fut ensuite conservée dans le palais parisien du cardinal, où elle fut inventoriée en 1653 et 1661. Colbert l’acquit pour les collections royales en 1665, avec d’autres antiques célèbres. Elle fut reproduite en gravure en 1671 par Claude Mellanparmi les antiques du château des Tuileries où, selon Félibien, elle figurait dans l’antichambre (1677). Les Bâtiments du Roi en firent exécuter une copie, fondue en bronze par Vinache en 1688-1690, légèrement plus petite (0,5 %), en raison du retrait du matériau à la fonte. Elle fut placée à l’entrée des Appartements verts de Marly, à l’allée des Boules, en pendant à une copie du Faune au chevreau du même Vinache, alors que l’entrée du bosquet symétrique était gardée par des copies en bronzes fondues par Keller de la Vénus Médicis et d’Adonis. Mais déjà en 1695, le roi allait donner à son fils, le Grand Dauphin, des statues pour son château de Meudon. Les quatre bronzes copiés par Keller et par Vinache quittèrent donc Marly. À ce moment, l’original antique était arrivé dans le parc de Marly. Le 22 août 1694, les bâtiments payèrent 153 livres à Bertin pour la restauration de trois statues antiques des magasins de Versailles, qu’il posa à Marly. La statue, attestée dans le bosquet de Louveciennes en 1697, émigra, en 1703, à la place de la fontaine de la colonne du bosquet de Marly, au centre d’une place ronde dès lors nommée place d’Atalante.
Pendant ce temps, la direction des Bâtiments du Roi commandait à Pierre Lepautre une copie légèrement plus grande (2,5 %), payée par acomptes du 30 décembre 1703 au 23 août 1705. Parallèlement s’inscrivait la commande d’un beau piédestal payé en 1705 aux ornemanistes Armand (1657-1715) et Montéant (actif de 1688 à 1723). La statue et son piédestal furent placés en 1706 dans le bosquet du Couchant. À cette date, l’antique était rentrée en magasin. L’œuvre fut placée au parc de Trianon dans la Salle des quatre figures. Cinq ans plus tard, on pensa à exécuter un pendant à l’Atalante de Lepautre. Et Guillaume Coustou fut chargé de sculpter la figure d’Hippomène. Le modèle en fut créé dès 1711. Coustou exécuta rapidement le marbre entre le premier acompte du 11 février 1712 jusqu’au parfait paiement le 20 juillet 1712. L’Atalante de Lepautre fut placée en 1711 au centre d’un des bassins des Carpes dans la Salle verte au sud-ouest, qui fut réformé en avril 1713 quand on plaça en symétrie la statue d’Hippomène. Il s’agissait autant de créer des pendants susceptibles d’orner des bassins symétriques que de raconter de belles histoires. Ici, les deux statues illustraient un épisode des Métamorphoses d’Ovide: un oracle ayant prédit à Atalante qu’elle changerait de forme si elle se mariait, celle-ci décourageait les prétendants en les défiant à la course et faisait mettre à mort les vaincus, après les avoir distancés. Mais Hippomène reçut de Vénus trois pommes d’or. Lors de la course, il jeta une à une les pommes. Atalante les ramassa, ce qui retarda sa course qu’elle perdit. Hippomène ayant oublié de remercier Vénus de cette victoire, il fut transformé, ainsi qu’Atalante, en lions par Cybèle, qui les attacha à son char. [...]
Geneviève Bresc-Bautier, conservateur général, directeur du département des Sculptures au musée du Louvre
Salle 7 - Troisième salle de Crimée
La mythologie galante
À partir de la fin du XVIIe siècle, la mythologie galante a été particulièrement à l’honneur à Versailles, mais aussi dans les décors du Grand Trianon et du château de Meudon, résidence du Grand Dauphin, fils de Louis XIV.
Dans ce domaine, les divinités principales sont Vénus et l’Amour. Psyché et l’Amour forment le thème de la grande tapisserie réalisée d’après Jules Romain, qui ornait le salon des Nobles du Grand Appartement de la reine au XVIIIe siècle.
La maquette préparatoire pour le décor de la voûte du salon d’Hercule montre un aspect galant du mythe : après sa mort, Hercule est reçu au sein de l’Olympe par Jupiter, qui lui présente comme épouse la belle Hébé, déesse de la Jeunesse.
Iris réveillant Morphée ou la grotte du sommeil
- René Antoine Houasse (1645-1710) - 1688-1689 Huile sur toile, H. 203 cm ; l. 152 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Ce tableau fait partie, au même titre que Vénus à sa toilette et Mercure de Bon Boulogne, de la grande commande passée en 1688 de toiles mythologiques destinées à décorer les appartements du Trianon de marbre et dont René Antoine Houasse fut l’un des principaux bénéficiaires avec François Verdier. L’œuvre était accrochée en dessus de cheminée dans la chambre du Sommeil, avec deux dessus-de-porte illustrant les différentes phases du repos : l’endormissement avec Mercure et Argus, le sommeil profond avec Diane et Endymion (Narbonne) et le rêve et l’éveil avec Iris et Morphée.
Si les Métamorphoses d’Ovide sont la source commune de ces tableaux imposée par la direction des Bâtiments du Roi, le sujet d’Iris et Morphée fait preuve d’une grande originalité car il n’a été que très rarement traité dans la peinture occidentale, contrairement aux deux autres. Le Sommeil et Morphée sont deux personnages mythologiques différents, le premier étant le père du second. Envoyé par son père pour apparaître en songe aux mortels, Morphée a la capacité de prendre la forme de n’importe quel être humain. Ovide fait bien cette distinction, mais Houasse confond Morphée avec le Sommeil, ce qui constitue sa seule licence par rapport au texte. En effet, le Sommeil est habituellement représenté comme un vieillard tandis que son fils, comme dans le tableau, a le physique et les traits d’un jeune homme. Les sources contemporaines identifient d’ailleurs systématiquement le personnage comme étant Morphée. L’action est tirée du livre IX : Céyx, roi de Trachine, fait naufrage et se noie alors qu’il se rend en Asie pour consulter l’oracle de Claros, malgré les supplications de sa femme Alcyone. Junon donne l’ordre à Iris de persuader le Sommeil – Morphée dans le tableau – de faire paraître ce malheur en songe à Alcyone. Inquiète, celle-ci se rend sur le rivage où elle a quitté son époux et retrouve son cadavre flottant. Les dieux ayant pitié de sa douleur transforment les deux amants en oiseaux. Houasse a représenté le moment précis où Iris pénètre l’antre du Sommeil, réveillant le dieu par l’éclat de sa robe.[...] Iris, dont la chevelure et le profil au nez droit rappellent la statuaire antique, réveille Morphée, représenté sous la forme d’un jeune homme ailé allongé sur un lit de repos doré, orné d’une frise de vagues à la grecque, inspiré du mobilier contemporain. Les fleurs de pavots qui émanent de la corne sur laquelle il s’appuie engourdissent l’air et provoquent le sommeil. Les formes anthropomorphes fantomatiques se distinguant dans la nuée écartée par Iris incarnent les songes, tout comme les putti endormis au pied du lit qui dérivent probablement de la Vénus endormie avec des amours d’Annibal Carrache, l’un des tableaux les plus célèbres du siècle illustrant le thème du repos. La grande fidélité aux vers d’Ovide et l’absence de référents visuels directs – pas même une gravure d’illustration dans une édition française des Métamorphoses– combinent les qualités d’érudition et d’imagination nécessaires au bon peintre d’histoire au XVIIe siècle.
Houasse construisit sa carrière en grande partie grâce à Le Brun, dont il devint l’un des plus proches collaborateurs avec François Verdier. L’essentiel de sa production dans les années 1670-1680 se fit sous la direction de Le Brun, que ce fût aux Gobelins ou sur les grands chantiers royaux. Sa manière était alors très proche de celle de son protecteur dont il interpréta de nombreux dessins, tant des figures isolées que des compositions d’ensemble, ce qui contribua à lui forger, à tort, une image de simple imitateur. À l’extrême fin des années 1680, Houasse sembla pourtant s’affranchir quelque peu de la manière de Le Brun, alors en disgrâce et dont la peinture plaisait moins. Les toiles peintes par Houasse à Trianon en 1688-1689 incarnent le tournant de ce changement dans la carrière et la production de l’artiste, peu avant la mort de Le Brun en 1690. Par leur palette raffinée et l’adoption d’un modelé ferme inspiré de l’antique, elles renouaient, par certains aspects, avec les grands modèles de la peinture parisienne des années 1650, notamment Eustache Le Sueur – Minerve enseignant la sculpture aux Rhodiens peint pour le cabinet du Billard en est l’exemple le plus saisissant –, tandis que la touche vaporeuse d’un tableau comme Iris et Morphée fait aussi penser à certaines œuvres de la fin de la carrière de Mignard. Tout en s’éloignant de Le Brun, Houasse proposait ainsi des solutions originales tournées vers la France, une sorte de néo-atticisme, se distinguant des coloristes comme Charles de La Fosse attirés à la fois par l’Italie de Titien et par la Flandre de Rubens, alors que d’autres modèles visuels étaient également en vogue à Paris autour de 1700, des Bolonais à Corrège en passant par Pierre de Cortone.
Matthieu Lett, allocataire de recherche de l’École du Louvre
Salle 8 - Quatrième salle de Crimée
Permanence de l’antique au XVIIIe siècle
Cédant à une nouvelle mode, les principaux personnages de la cour se font peindre sous un travestissement mythologique : Nattier a représenté Madame de Pompadour, la favorite de Louis XV, en Diane chasseresse, tenant l’arc à la main, mais aussi les filles du souverain, sous les traits de Diane ou de Flore.
Avec leurs médaillons représentant les muses, les boiseries monumentales de Versailles illustrent le regain des formes et des thèmes antiques dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Ce goût retrouvé pour la noblesse des formes antiques est aussi magnifiquement illustré par les cinq paires de chenets en bronze doré disposées dans les cheminées.
Le cabinet des Muses - Attribué à l’atelier de Jules Hughes
Rousseau, dit Rousseau l’Aîné (1743-1806), et de son frère Jean-Siméon Rousseau, dit Rousseau de la Rottière (1747-1820) Vers 1785 Bois sculpté et peint Versailles, musée national des
châteaux de Versailles et de Trianon
Cet ensemble exceptionnel date de la fin du XVIIIe siècle et, plus précisément, des années 1785. Le dessin des lambris de style néoclassique inspiré de l’Antiquité pourrait avoir été élaboré sous la direction de l’architecte Richard Mique. Les lambris furent probablement exécutés dans l’atelier des sculpteurs Rousseau.
Seuls six des grands panneaux d’un ensemble de onze éléments –neuf panneaux, deux fausses portes – sont ici présentés. Le dessin de chaque panneau rectangulaire se caractérise par la présence sur son décor finement sculpté d’un cadre simplement mouluré, mais bordé d’une légère frise de guirlandes de fleurs et de feuillages au pourtour. Au centre, chaque lambris présente dans un médaillon souligné d’un rang de perles le profil d’une Muse en bas relief. Le médaillon est posé sur le chapiteau à enroulement d’une console à canaux et feuille d’acanthe à la base de laquelle est inscrit le nom de chaque Muse. Des cornes d’abondance, des branches de laurier nouées, des palmettes, des cassolettes, des athéniennes ou des vases sculptés contribuent à l’ornement décoratif de chaque panneau.
Les attributs des Muses sont suspendus à des couronnes ou guirlandes de fleurs et autres rinceaux d’ornements arabesques. Trois profils regardent à gauche : Melpomène (dont le profil en bas relief est perdu), muse de la Tragédie, a pour emblème des masques ; Calliope, muse de la Poésie épique et de l’Éloquence, dévoile une lyre et un casque; Terpsichore, muse de la Danse et de la Poésie, est accompagnée d’une flûte de pan, de trompettes et d’un tambourin à cymbales. Les trois autres médaillons regardent vers la droite : un livre ouvert avec un ouroboros, une couronne de laurier et une trompette sont les attributs de Clio, muse de l’Histoire ; la longue-vue, la couronne d’étoiles, le compas et la sphère sont les instruments scientifiques de la muse de l’Astronomie, Uranie ; la lyre et le chapeau caractérisent Érato, la muse du Chant et de la Poésie amoureuse.
Les trois autres panneaux présentent les profils de Polymnie, muse de l’art du mime – la Pantomime –, Euterpe, muse de la Musique, et Thalie, muse de la Comédie. D’après l’histoire antique, les Muses présidaient à l’ensemble des créations de la pensée humaine. Selon les dernières études menées, cet ensemble homogène au programme iconographique ambitieux proviendrait du pavillon de la Surintendance, à Versailles, à l’extrémité de l’aile du Midi, qui fut réaménagé en 1787 pour Monsieur, comte de Provence. Il ornait précisément la seconde antichambre ou salon des Nobles du frère de Louis XVI, qui servait au jeu ; c’était une vaste pièce carrée ouvrant au sud par deux fenêtres et chauffée par une cheminée en marbre griotte à l’est. Ces six superbes panneaux, aujourd’hui revêtus d’une simple couche d’apprêt, sont révélés pour la première fois au grand public. Ils témoignent du goût antiquisant présent dans les décors du château de Versailles à la veille de la Révolution.
Vincent Bastien, historien de l’art
Salle 9 - Couloir de la salle de la Smalah
Le Grand Projet
À Versailles, le goût pour l’antique fut tel que Louis XVI envisagea de reconstruire presque complètement le château hérité de ses prédécesseurs. Les projets présentés montrent que le nouveau Versailles devait surpasser le gigantisme des monuments de la Rome antique. Ce rêve antique fut compromis par la crise financière qui devait emporter la monarchie.
Élévation perspective sur la cour - Jean-François
Heurtier (1739-1822) - 1781-1787 Plume et encre noire, lavis gris et rehauts d’aquarelle dans le bas sur traits de crayon noir, H. 30,5 cm ; l. 60 cm Versailles, musée national des châteaux
de Versailles et de Trianon
Le projet de Jean-François Heurtier est sage et réaliste. Seules les façades en brique de la cour Royale et de la cour de Marbre sont reconstruites. Le programme n’est cependant pas complètement respecté, puisque l’aile Gabriel n’est que très partiellement conservée. La perspective montre un projet rassurant pour les finances. La proposition de Heurtier est un mélange des projets de Gabriel et de Pierre Adrien Pâris: les pavillons à fronton restent traditionnellement détachés et encadrent une cour carrée dont la façade principale est habillée d’une colonnade d’ordre colossal couronnée de statues. Mais le génie manque : les articulations ne sont pas maîtrisées et l’effet est lourd sans être puissant et majestueux. Le projet est humble. L’est-il par respect pour l’œuvre de Louis XIV ? Les façades semblent traitées de manière indépendantes les unes des autres, unies tant bien que mal par la corniche. Celles qui encadrent la colonnade, en retour des pavillons, sont les plus étonnantes. Elles sont lisses, sans ressauts et sans avant-corps. Le rez-de-chaussée est rythmé par cinq grands passages marqués de deux colonnes dont l’entablement supporte un balcon ; les baies de l’étage sont surmontées de frontons triangulaires sur consoles et agrémentées d’un balcon en pierre. L’absence de socle et d’articulation entre les deux niveaux, la répétition systématique des motifs au deuxième niveau montrent la difficulté de l’architecte à penser une architecture palatiale. La composition est à mi-chemin entre les dessins épurés des projets utopistes d’un Boullée et les dessins maîtrisés et délicats d’un Pâris ou d’un Bélanger.
Côté jardin, l’architecte s’autorise une intervention sur les façades de l’Enveloppe. Il ne s’agit pas de la construction d’ailes supplémentaires comme le proposent Boullée, Peyre le Jeune ou Potain, mais d’une modification des cinq premières travées du corps central en partant des ailes du Midi et du Nord. Heurtier propose une régularisation des élévations des Grands Appartements en supprimant les ressauts des façades et en ajoutant un avant-corps à colonnes de chaque côté. Si la proposition est intéressante, les aménagements intérieurs qui en résultent le sont moins. Pourtant inspirée du projet de Pierre Adrien Pâris, la distribution du palais est peu convaincante. Les enfilades de pièces sont monotones, peu claires, et la moitié des Grands Appartements s’en trouve chamboulée.
Comme chez Pâris, l’accès à l’étage noble s’effectue au centre de l’édifice, sous la colonnade, par un grand escalier droit, ici sans colonnes et d’un caractère antique plus marqué. Ouvert sur le degré par une gigantesque arcade, le vaste palier est éclairé par trois baies thermales. Il dessert la Grande Galerie à l’ouest, l’appartement du Roi au nord et celui de la Reine au sud. Le souverain dispose de trois premières pièces sur la cour intérieure nord, puis de quatre ou cinq autres ouvrant sur la cour Royale. La chambre et le Grand Cabinet occupent le centre du palais. Quelques pièces de service doublent cette dernière enfilade. La succession traditionnelle des salles et de leur fonction est conservée, mais la chambre de parade affecte étrangement des dispositions de chambre à coucher, alors que le cabinet du Conseil est devenu aussi vaste que le salon d’Hercule. Jean-François Heurtier côtoyant Louis XVI, faut-il voir dans ces particularités la traduction d’une volonté royale ? La chambre de la Reine est dessinée de la même manière. Son appartement est, quant à lui, maintenu dans l’enfilade sud de l’Enveloppe, mais le sens en est inversé. Les deux ailes bordant la cour Royale sont réservées au service de leurs altesses.
Comme dans presque tous les autres projets de la consultation, l’architecte a prévu une salle de comédie à l’emplacement du pavillon d’Orléans. L’escalier des Princes est détruit pour laisser la place à un vaste foyer, rotule desservant la galerie de pierre, le nouvel escalier et le corps central. Un troisième escalier est bâti dans l’aile nord contre le salon de la Chapelle. La distribution, qui n’est pas d’une grande finesse, paraît hésitante. Heurtier conserve par exemple le passage vers la cour des Princes et de la Chapelle en élargissant l’emprise des pavillons, mais y construit un mur à la place de la grille existante, établissant une fausse continuité entre deux éléments sans lien. Précisons que l’architecte a produit différents projets, dont l’un propose un aménagement intérieur bien réglé et plus délicat ; peut-être celui que nous venons d’étudier n’est-il pas abouti.
Basile Baudez, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, Paris IV et Fabien Passavy, architecte du patrimoine, cabinet Frédéric Didier A.C.M.H., château de Versailles
Salle 10 - salle de la Smalah
Fêtes à l’antique
Plusieurs des festivités du mariage de 1770 eurent lieu à l’Opéra royal du château de Versailles, qui venait d’être édifié. Un des projets de décor de scène pour ce lieu de spectacles, agrandi pour l’exposition, montre un arc de triomphe et une colonne rostrale antiques. Ainsi, l’Antiquité était présente jusque sur la scène, pour le plus grand plaisir des souverains et de la cour de Versailles.
Surtout, dit «du mariage du Dauphin» - Anonyme,
attribué à la maison Beurdeley - 1769-1770 Manufacture royale de porcelaine de Sèvres Pâte tendre, entablement en biscuit de porcelaine, bronze doré, glace, marbre du XIXe siècle, H. 62,5 cm
; l. 290 cm ; pr. 130 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Cette impressionnante colonnade à l’antique présentée sur une table est en réalité un surtout, pièce ornant une table de banquet. Cet objet hors norme servit pour le festin du mariage du futur Louis XVI avec l’archiduchesse Marie-Antoinette, le 17 mai 1770. La colonnade dorique de 40 colonnes supporte un entablement en biscuit de Sèvres : quatre paires de colonnes sur chacun des deux grands côtés et trois colonnes en triangle au huit angles. Les métopes ont un décor très fin sculpté, montrant alternativement le chiffre du roi en palmes, la fleur de lys, l’aigle à deux têtes et le dauphin. Les colonnes sont en marbre gris veiné blanc et jaune, le fond de glace est à bordure de bronze doré avec des festons de draperie. Un dessin de Moreau le Jeune nous restitue le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette, le surtout y est bien visible. Au centre de la colonnade dominait, pour l’événement un biscuit : une statue du roi Louis XV d’après J-B Pigalle. Des groupes de figures de biscuit accompagnaient la figure royale. Chef-d’œuvre de la Manufacture de Sèvres, le surtout constituait un spectacle à lui seul.
La scénographie de Pier Luigi Pizzi
Trois questions à Pier Luigi Pizzi
En quoi a consisté votre rôle de scénographe?
L’exposition met l’accent sur l’antique à l’époque de Louis XIV. Avec la mise en scène, les décors, il fallait retrouver l’atmosphère qui lui a permis de réunir ces œuvres. L’exposition tente de restituer l’esprit qui animait le roi et ses successeurs. Il faut que tout cela soit éloquent, raconte une époque !
Voyez-vous des points communs entre une scénographie comme «Versailles et l’antique» et les mises en scène que vous faites pour le théâtre et l’opéra?
Le théâtre est un bon vecteur pour faire passer un message. Au théâtre, quand le rideau se lève, vous avez le droit à une surprise. Dans une exposition, si la scénographie fonctionne, il se passe la même chose. Il faut calculer, maintenir l’effet de surprise pendant tout le parcours.
Dans l’exposition « Versailles et l’Antique », on commence par découvrir une série de sculptures dans la Galerie de pierre basse. Puis on monte par l’escalier, aux salles d’Afrique dont les murs sont chargés de tableaux, comme dans un musée de peinture... Mais je ne veux pas tout dévoiler ! Si l’on sait tout, cet effet de surprise n’existe plus.
Comment décririez-vous le contexte artistique au XVIIe siècle?
Si la référence aux grandes époques antiques est commune à la plupart des artistes, certains, comme Le Bernin, utilisent le même langage mais de façon plus libre. À côté de la rigueur et de la simplicité épurée du classicisme, on voit apparaître une nouvelle dynamique, le baroque, qui tente de redonner du mouvement aux formes « statiques » du classicisme. Les schémas classiques peuvent être rompus, par exemple, en jouant sur l’émotion.
Pier Luigi Pizzi en cinq dates
1930 Naissance à Milan.
1952 Après des études en architecture, première expérience dans le théâtre comme décorateur pour Don Giovanni de W.A. Mozart.
1990 Mise en scène des Troyens d’Hector Berlioz, qui fait l’inauguration de l’Opéra Bastille.
2005 Directeur artistique du Sferisterio Opera Festival de Macerata.
2012 Scénographie de l’exposition « Versailles et l’antique » au château de Versailles.
Informations pratiques
Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles
RP 834 - 78008 Versailles Cedex
Lieux d’exposition
Galerie basse, salles d’Afrique et de Crimée
Informations
Tél. : 01 30 83 78 00
Retrouvez le château de Versailles sur : www.chateauversailles.fr
Moyens d’accès
SNCF Versailles-Chantier (départ Paris Montparnasse) SNCF Versailles-Rive Droite (départ Paris Saint-Lazare) RER Versailles Château-Rive Gauche (départ Paris RER Ligne C) Autobus 171 Versailles Place d’Armes (départ Pont de Sèvres)
Accès handicapés
Les personnes en situation de handicap peuvent se faire déposer dans la cour d’Honneur du Château. Un stationnement est possible en fonction des places disponibles, réservation obligatoire. Accès pour les personnes handicapées à tous les circuits du Château. Prêt de fauteuils roulants non motorisés.
Horaires d’ouverture
L’exposition est ouverte tous les jours, sauf le lundi de 9h à 17h30 (dernière admission à 17h). Fermeture exceptionnelle les mardis 25 décembre 2012 et 1er janvier 2013.
Tarifs
Exposition incluse dans le circuit de visite du Château. 15 €, tarif réduit 13 € (avec audioguide).
Audioguide
Audioguide gratuit, disponible en français et en anglais. Sur un parcours de 25 minutes, 17 œuvres phares de l’exposition sont ainsi présentées au visiteur par les commissaires de l’exposition, ainsi que par des spécialistes qui ont collaboré à la réalisation de cette exposition. Ces commentaires ont été enregistrés devant les œuvres, dans les réserves ou les salles des institutions prêteuses (musée du Louvre, Mobilier national, château de Marly), avant que les œuvres n’arrivent au Château pour le montage de l’exposition. Ces enregistrements donnent aux visiteurs le sentiment d’être en présence des spécialistes, et rendent les commentaires particulièrement vivants.
Visites commentées de l’exposition
30 novembre, 6, 12, 15, 26 décembre 2012 à 10h. 13, 15, 19, 23 janvier, 2, 7, 16, 20, 24 février, 2, 10, 13, 15 mars 2013 à 10h. Renseignements et réservations par mail : visites.thematiques@chateauversailles.fr
Activités en famille
Animation pour les enfants de 8 à 11 ans, les 27 décembre 2012, 4 janvier, 20, 27 février et 8 mars 2013 à 10h30. Sur réservation. Livret-jeu gratuit pour les enfants de 6 à 12 ans, disponible à l’entrée de l’exposition et aux points information.
À la découverte de la gypsothèque du musée du Louvre
C’est l’histoire d’un lieu extraordinaire situé à la Petite Écurie du Château qui abrite depuis plus de trente ans une admirable collection de moulages historiques d’après l’antique. Visites les 8 décembre 2012 à 14h30, 23 février, 23 mars à 14h. Réservation ouverte 14 jours avant la date de la visite, par téléphone au 01 40 20 51 77.