Le
projet portuaire à Bastia, des pré-requis environnementaux jusqu’au montage financier…
Porté par la collectivité et la Chambre de commerce et d'industrie de Corse a fait l’objet de nombres d’attentions. Cinq ans de discussions, de débats, de séances publiques, le CGEDD a livré un rapport dans lequel, il réuni les réflexions soulevées d’un tel projet et synthétise les propositions ... Et cinq ans après le débat public, les acteurs concernés ne semblent pas avoir changé d'opinion sur le projet de port…
Un projet portuaire souhaité par la CTC qui explique que l’actuel port de commerce de Bastia construit à la fin du 19ème siècle, se placant en première position dans l'île de Beauté tant pour le trafic de marchandises que pour le flux de passagers pour lequel il est le deuxième port français derrière Calais et le premier de méditerranée devant Marseille ne permet plus d’assurer correctement l’acheminement des marchandises notamment en période estivale. La CCI explique la difficulté de manœuvrer à l'intérieur du port actuel en raison de l'étroitesse de la passe d'entrée et de la faible largeur du bassin. Par gros temps, ou d'encombrements dans le port, certains bateaux sont obligés de rester au mouillage au pied de la citadelle ou de « plancher » au large en attente d'une amélioration de la situation météorologique.
Un autre argument avancé lors du débat public pour justifier la construction d'un nouveau port ou l'aménagement du port actuel a visé la taille des navires qui tend à augmenter. Aujourd'hui, le port de Bastia peut accueillir des ferries ne dépassant pas 175 m alors que l'évolution à 2020 conduit à penser que les navires pourraient dépasser les 200 m voire les 215 m.
Enfin, le projet portuaire situé sur le site de la Carbonite, selon la CTC, permettrait de décongestionner les voies d’accès extérieures au port. En effet en pic saisonnier, il arrive ainsi fréquemment que les véhicules débarquant des navires se retrouvent bloqués dès leur entrée dans la voirie urbaine, notamment aux heures de pointe le matin et le soir. Le tunnel de Bastia long de 800 m qui passe sous le vieux port est, par ailleurs, un point névralgique de la circulation pour sortir de la ville.
Même si un consensus s’est dégagée sur plusieurs critères liés à l'amélioration de la sécurité portuaire qui devrait, en tout état de cause, être assurée le plus tôt possible et la nécessité d’améliorer le cadre portuaire et les conditions d’accueil de ses usagers, les associations de défense de l’environnement : le Poulpe, U Levante et le Collectif Port Bastia qui les regroupent, l’Association du Vieux Sartène, mais aussi le Président des plaisanciers bastiais et des particuliers ont exprimé leur mécontentement, s’agissant d’un projet inacceptable en raison de ses conséquences économiques et plus encore de ses conséquences environnementales, mais aussi de son coût.
Deux principales options ont été confrontées : le site du port actuel et le site de la Carbonite au nord de la plage de l'Arinella sur l'emprise du littoral déjà artificialisé.
L'aménagement du port actuel s'appuyant sur la construction d'une nouvelle digue, de nouveaux quais et de terres pleins plus vastes (doublement des 40 000m2 actuels), a été présenté au débat public comme alternative au choix du site de la Carbonite. La nouvelle configuration du port actuel permettrait de transformer les postes existants en 7 postes opérationnels avec la possibilité d’accueillir des navires de plus de 240 m.
L'option du site de la Carbonite proposerait également 7 quais opérationnels, 100 000m2 de terres pleins avec une possibilité d'extension si l'augmentation des trafics le justifiaient un jour. L'extension serait localisée entre le nord de la plage de l'Arinella et les épis implantés sur le littoral déjà artificialisé le long de la RN193.
Les prises de position quant à l’opportunité d’un tel projet comportaient en même temps un avis quant à la localisation ; pratiquement personne n’a défendu l’idée d’une extension du port sur son site actuel.
Le projet portuaire sur le site de la Carbonite :
Les conséquences sur l’environnement sont la destruction d’espèces protégées en mer et à terre, ainsi qu’une érosion du littoral.
S’agissant du projet sur le site de la Carbonite les études confirment une grande sensibilité écologique. Le projet entraînerait la destruction d'une centaine d’hectares de posidonies (Posidonia oceanica, Posidonia oceanica est une plante à fleurs, composée de racines, de rhizomes (les tiges), d'écailles et de feuilles. Au printemps, les feuilles croissent jusqu'à la fin de l'été et tombent en automne. La floraison a lieu de façon irrégulière au cours de l'été. Les fruits ainsi formés « olives de mer » se détachent au printemps suivant et les graines sédimentant sur le fond de par la faible croissance des faisceaux foliaires, l’expansion et la recolonisation d'une zone par la posidonie sont très lentes.), phanérogame bénéficiant d'une protection nationale et internationale stricte aussi bien pour l'espèce elle-même que pour l’habitat qu'elle crée. A cet égard, la richesse spécifique inféodée à l'herbier est une des plus importantes observées en milieu marin.
Sur le site de la Carbonite, l'herbier de posidonies occupe une bande presque continue de 500 m de largeur allant des profondeurs de 6 à 25 mètres installé sur une matte importante(>2m). Sa limite inférieure est progressive au sud de la zone (plage de l'Arinella) alors qu'elle est progressive au nord avec une forte présence de matte morte.
Au total la surface de l'herbier de posidonies avoisinerait 62 400 hectares : la destruction de l'herbier à la Carbonite correspondrait donc à 0,16% du total de la surface de posidonies présente en Corse.
Une autre espèce protégée, la grande Nacre (Pinna nobilis), est présente sur le site de la Carbonite.
Ce mollusque est un bivalve possédant une coquille dont la taille peut dépasser un mètre de hauteur. Endémique de la méditerranée, P. nobilis à l'état juvénile se développe entre 4 et 10 m (niveau infra-littoral) de profondeur et migre jusqu'à une cinquantaine de mètres de profondeur avec l'âge. Cette espèce vit principalement dans les herbiers de posidonies ce qui explique sa présence en grand nombre en Corse et précisément sur le site projeté. Cette espèce est protégée au niveau international par son inscription à l'annexe IV de la directive Habitats. Si l’on considère une densité de grandes nacres de 1 individu/100 m2 (hypothèse basse selon les scientifiques), il y aurait plus de 6 millions d’individus de grande nacre en Corse.
Sur le site de la Carbonite, les bureaux d'études ayant procédé aux relevés ont comptabilisé une densité moyenne de 0,4 individus/100 m2 soit, si l'on accepte l'hypothèse de la destruction de 100 ha d'herbier, 4 000 individus de P. nobilis seraient potentiellement impactés.
Concernant le projet sur le port actuel, les études montrent qu’une troisième espèce, la Patelle géante (Patella ferruginea) est présente sur le site. Sa grande taille, son repérage facile et la beauté de sa coquille expliquent la prédation dont elle fait l'objet. Cette espèce est protégée sur l'ensemble du territoire par un arrêté du 20 décembre 2004 et elle est inscrite dans l'annexe IV de la directive Habitats. Un recensement de cette espèce a été réalisé par un bureau d'études sur le site du port actuel (jetée du port de commerce) qui concluait que si des travaux étaient entrepris pour l'expansion du port de commerce actuel, plus de 300 individus de P. ferruginea seraient directement impactés contre 8 individus sur le site de la Carbonite.
Pour être complet, il faut ajouter la présence de Cymodocées (Cymodocea nodosa ) plante à fleurs protégée par l'arrêté du 19 juillet 1988 dont on trouve un très petit nombre d'individus couvrant une surface de 20 m2.
Enfin, en ce qui concerne les espèces terrestres, un relevé floristique réalisé en août 2010 par M. Guilhan Paradis pour le compte du maître d'ouvrage signale les effets indirects de la construction du port à la Carbonite. Selon lui, comme le nord de la plage sableuse sera occupé par le futur port, il est probable que les estivants se reporteront sur la partie méridionale de la plage. Cette fréquentation avec les aménagements qu'elle suppose fera disparaître des espèces dont une est protégée par l'arrêté du 20 janvier 1982 (modifié par l'arrêté du 31 août 1995) : Euphorbe Peplis (Euphorbia Peplis) dont il a été dénombré 164 individus.
Alors quelles mesures compatibles avec les règles issues du code de l'environnement pour la construction du port sur le site de la Carbonite ?
La mission du CGEDD a rendu les recommandations faites à la Collectivité territoriale de Corse.
- Solliciter un avis préalable du CNPN, Conseil national de la protection de la nature, pour la posidonie. En effet, l'ampleur de la destruction de l'herbier et la quasi impossibilité de réimplanter avec succès la posidonies à titre de compensation requiert, à défaut, des mesures dites « d'accompagnement ». La CNPN a d’ailleurs récemment donner un avis favorable estiment que les dommages naturels, causés par la construction du Grand Port, seront réparés par les mesures compensatoires qui sont programmées.
- Présenter séparément une demande de dérogation pour la Grande Nacre. Une demande de dérogation pour le déplacement ou la destruction de plusieurs individus de Grande Nacre accompagnée des mesures compensatoires qui pourraient comporter leur transplantation dans une autre partie de l'herbier de posidonies. Comme les expériences de transplantation de cette espèce sont rares, il pourrait être intéressant d'un point de vue scientifique d'en suivre les impacts. Il faut noter que le coût de transplantation de la Grande Nacre n'étant pas connu avec précision, le projet du port de la Carbonite pourrait être l'occasion d'une évaluation financière d'une telle opération.
- Eviter, réduire, compenser : une trilogie à respecter. La mise en œuvre de la séquence doit permettre de conserver globalement la qualité environnementale des milieux, et si possible d'obtenir un gain net, en particulier pour les milieux dégradés, compte-tenu de leur sensibilité et des objectifs généraux d'atteinte du bon état des milieux ». Elle devra impérativement prouver que ce projet a un intérêt public majeur.
- S'assurer que les mesures compensatoires apportent un gain net au plan écologique. Les mesures compensatoires ont pour objet d’apporter une contrepartie aux effets résiduels négatifs du projet (y compris les effets résultant d'un cumul avec d'autres projets) qui n’ont pu être évités ou suffisamment réduits. Elles sont conçues de manière à produire des effets qui présentent un caractère pérenne et sont mises en œuvre en priorité à proximité fonctionnelle du site impacté. Elles doivent permettre de maintenir voire le cas échéant d’améliorer la qualité environnementale des milieux naturels concernés à l'échelle territoriale pertinente12.Le conseil scientifique placé auprès de la CTC s'est prononcé pour la création d'une aire maritime protégée (AMP) d’une surface globale comprise entre 5000 et 7000 hectares, dont 1 000 hectares en protection renforcée. Les autres mesures proposées visent à transplanter des Cymodocées et à déplacer une centaine de Pinna Nobilis et 8 Patella ferugina.
- Ne pas attendre l'aboutissement des dossiers de demande de dérogation pour finaliser l'étude d'impact sur l'environnement, qui, de toute façon, devra intégrer les dérogations et l'ensemble des mesures compensatoires. La CTC craignant que sa demande de dérogation pour destruction d'espèces protégées ne puisse aboutir en raison des difficultés à mettre en place des mesures de réduction et de compensation à la hauteur des enjeux, a préféré ne pas entreprendre la réalisation d'une étude d'impact couvrant la totalité du projet.
- Réaliser une étude d'incidences Natura 2000 sur le grand herbier. Le projet de port ne se réalisera pas à l'intérieur d'un site Natura 2000 mais à proximité. Il n'en demeure pas moins important de vérifier que des impacts directs ou indirects ne se produiront sur la zone en question.
- Réaliser une étude d'incidences « Natura 2000 » et « Loi sur l'eau » sur le tracé de l'infrastructure devant relier le nouveau port au carrefour situé au sud de Furiani. Cette route devrait jouxter la voie ferrée, mais la présence de la zone Natura 2000 de l'étang de Biguglia (FR9400571) à quelques centaines de mètres et dans son bassin versant impose la réalisation de cette étude. Il devra être prouvé que des incidences notables au niveau de la zone susceptible d'être impactée ne sont pas susceptibles d'être envisagées dans l'état actuel des expertises sollicitées. L'emprise de l'infrastructure pourrait être compensée par des mesures garantissant la pérennité des activités non polluantes sur le bassin versant. Il serait par exemple utile d'envisager des achats fonciers en liaison avec le Conservatoire du littoral y compris du côté du lido pour garantir la « naturalité » des lieux.
- Réfléchir à l'organisation d'une concertation avec la population, sachant que le débat public date de 2007
Enfin, même si l’aval du CNPN a été confirmé le 20 décembre dernier, il subsiste de nombreux obstacles juridiques et plus particulièrement le montage financier qui n’est pas encore été défini car son coût de réalisation est bien au-delà de la capacité de financement de la région.
La prochaine étape du projet de "Grand Port de la Carbonite" devrait se jouer sur les bancs de l'assemblée de Corse dès le premier trimestre 2013, où il devra être approuvé par une majorité d'élus. Viendront ensuite les études, les éventuels recours et quatre ans de travaux.
Le Grand Port de la Carbonite en chiffres (Etude CTC)
- Construction d'une digue au large, 3 darses et l'aménagement de 9 postes à quai;
- Longueur des postes comprise entre 195 et 340 mètres, adaptée aux navires actuels;
- 173.000 m2 de terre-plein pour l'organisation des flux;
- une zone d'embarquement de 78.000 m2 pour accueillir 3 900 véhicules;
- une aire de manutention de 71.000 m2 pour stocker 630 remorques;
- une zone publique de 24.000 m2, aires de stationnement dévolues aux usagers et aux employés.