La
Galerie du Temps du Louvre-Lens. Un parcours inédit de 205 œuvres
A quelques mois de son inauguration prévue le 4 décembre 2012, la commission des prêts et dépôts des musées de France a validé le choix des 205 œuvres qui seront exposées dans la Galerie du
Temps, pour une présentation semi-permanente totalement inédite.
Un parcours inédit à travers l’histoire de l’art
Contrairement à d’autres musées, le
Louvre-Lens ne disposera pas de collections propres. La Galerie du Temps exposera pour 5 ans au sein du musée du Louvre-Lens des chefs-d’œuvre du Louvre, selon une
présentation chronologique. Sur 120 mètres de long, de la naissance de l’écriture vers 3 500 avant JC jusqu’au milieu du XIXe siècle, toutes les civilisations
et techniques seront représentées, embrassant ainsi l’étendue chronologique et géographique des collections du musée du Louvre.
La Galerie du Temps s’organisera en 3 grandes périodes : 70 œuvres pour l’Antiquité, 45 œuvres pour le Moyen Âge et 90 œuvres pour les Temps modernes.
205 œuvres ou ensembles d’œuvres seront exposés dans la Galerie du Temps pour 5 ans. Il s’agit d’une présentation semi-permanente, dans la mesure où la plupart de ces œuvres resteront à Lens pour
5 ans. Un peu moins de 20% d’entre elles seront renouvelées au bout d’un an, à la date anniversaire de l’ouverture du musée le 4 décembre, puis régulièrement tous les ans. Cette rotation
permettra de fidéliser un public régulier qui découvrira ainsi chaque année un parcours renouvelé.
Une présentation transversale : un regard nouveau sur les collections du Louvre Le parti pris d’un espace unique d’exposition permettra de faire
voisiner des œuvres produites par des civilisations et des cultures différentes mais conçues à un même moment historique. On pourra ainsi s’affranchir des contraintes du musée du Louvre à Paris
où la présentation des collections par département ne permet pas aux œuvres d’une même époque mais de techniques ou de civilisations différentes de dialoguer entre elles. A Lens au contraire, le
public pourra par exemple apprécier, pour le Ve siècle avant J.-C., les chefs-d’œuvre de la Grèce classique côtoyant ceux de l’Empire perse ou encore ceux de
l’Egypte pharaonique. C’est toute une nouvelle compréhension de l’histoire de l’art et de l’humanité qui est ainsi rendue possible.
Pour la Renaissance seront réunies les œuvres d’artistes italiens, français, espagnols ou encore d’Europe du Nord (Pérugin, Raphaël, Greco, Maler, Jean Goujon) offrant ainsi une présentation
originale et inédite de la singularité de cette époque.
En complément de cette approche chronologique, des parcours thématiques permettront de voir à travers le temps l’évolution de la représentation de certains grands thèmes tels que l’art du
portrait, le paysage, la représentation du pouvoir, ou encore le fait religieux.
Seule la richesse des collections du Louvre permet de présenter ainsi, tout en le renouvelant régulièrement, un tel parcours à travers l’histoire des arts.
Tous les départements ont prêté pour cette Galerie du Temps : 25 œuvres du département des Antiquités orientales, 21 œuvres du département des Antiquités égyptiennes, 31 œuvres du département des
Antiquités grecques, étrusques et romaines, 37 œuvres du département des Arts de l’Islam, 31 œuvres du département des Objets d’art, 30 œuvres du département des Peintures, 30 œuvres du
département des Sculptures. Seuls les dessins, exigeant des conditions particulières de présentation, ne sont pas exposés dans cette partie du musée mais trouveront leur place dans le cadre des
expositions temporaires. Dès l’ouverture du musée, ce sont donc les plus grands chefs d’œuvre et les plus grands artistes présents au Louvre qui seront exposés à Lens :
Botticelli, Pérugin, Raphaël, Goujon, Le Greco, Rubens, Poussin, Rembrandt, La Tour, Le Lorrain, Goya, Ingres, et Delacroix avec La Liberté guidant le peuple. A partir de décembre 2012,
le Louvre sera ainsi à découvrir autant à Lens qu’à Paris.
Les trois séquences de la Grande Galerie
Antiquité, 70 œuvres en 12 thématiques
1. Au temps de la naissance de l'écriture en Mésopotamie
2. Aux origines de la civilisation égyptienne
3. Aux origines des civilisations méditerranéennes
4. L'Orient ancien au temps de Babylone
5. L'Egypte des grands temples
6. La Méditerranée des cités
7. L'Empire assyrien
8. L’Egypte du crépuscule. Les Rites funéraires
9. L'Empire perse
10. La Grèce classique
11. Le monde d'Alexandre le Grand
12. L'Empire romain
Moyen Âge, 45 œuvres en 7 thématiques
13. Chrétienté d'Orient, l'Empire byzantin
14. Chrétienté d'Occident, les premières églises
15. Aux origines de la civilisation de l'Islam
16. L’Italie, Byzance et l’Islam en Occident
17. L'Europe gothique
18. Un apogée de l’Orient islamique
19. Rencontres entre Orient et Occident
Temps modernes, 90 œuvres en 9 thématiques
20. La Renaissance
21. Trois empires modernes de l'Islam
22. Arts de cour
23. L’Europe baroque
24. Le classicisme français
25. Le Temps des Lumières
26. Néoclassicismes
27. Art islamique et Art occidental : acculturations et résistances
Antiquité
Aux origines des civilisations méditerranéennes
1. Idole féminine nue aux bras croisés Cyclades, entre 2700 et 2300 av. J.-C., marbre, H. 62,8 cm. Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, MA 5009 ©
RMN-GP (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski Durée d’exposition au Louvre-Lens : 5 ans
Les idoles en marbres
L’archipel des Cyclades, qui forment dans la mer Egée un cercle (kuklos en grec) autour de l’île sacrée de Délos, connaît un développement exceptionnel au IIIe millénaire av. J.-C., à la fin du néolithique ou âge de pierre. Idéalement placées à la croisée des routes maritimes reliant les peuples du bassin oriental de la
Méditerranée, ces îles accompagnent les progrès de la métallurgie du bronze, diffusée depuis l’Anatolie et Chypre.
Exploitant les carrières de marbre dont leur sol regorge, les ateliers cycladiques ont su très vite maîtriser la technique indispensable de la taille de ce beau matériau. Les nombreuses « idoles
» de marbre mises au jour en sont la manifestation la plus brillante. Les statuettes de femmes nues sont les plus fréquentes, depuis des images à ce point schématiques qu’elles ont été
identifiées à des violons, jusqu’aux formes plus modelées de ces idoles dont l’état de grossesse est parfois évoqué.
Le groupe de l’île de Syros
Entre 2700 et 2300 av. J.-C. apparaît, particulièrement sur l’île de Syros qui lui donne son nom, un groupe de représentations auquel appartient cette figure nue aux bras croisés très longiligne.
La tête est en forme de lyre, avec un nez long et fin. Les épaules sont à peine plus larges que les hanches ; les seins, petits, sont modelés. Le pubis, incisé, est placé très bas sous le ventre.
Une entaille évasée sépare les jambes. Les pieds sont brisés. Cette figurine présente les vestiges d’un décor peint (contour de l’œil droit, traces rouges sur le bras et la poitrine) et la
notation en léger relief de mèches ondulées sur la nuque.
Peut-être les déesses-mères
Si la découverte de ces figures est la plupart du temps liée à un contexte funéraire, les exemplaires exhumés dans des structures domestiques viennent brouiller les différentes hypothèses mises
en avant pour expliquer la destinations de ces idoles. S’agit-il de « poupées » déposées auprès du défunt pour répondre à ses appétits sexuels ? Jouent-elles un rôle protecteur des âmes qu’elles
accompagnent : volontairement brisées dans certaines tombes, remplacent-elles les sacrifices humains des premières inhumations ? Certains ont reconnu, dans ces femmes sur la pointe des pieds, des
danseuses, que charmeraient la harpe ou la flûte des rares figures viriles découvertes. L’insistance du sculpteur à marquer les caractères féminins de ces idoles évoque évidemment la fécondité,
et invite peut-être à les identifier aux déesses-mères auxquelles les civilisations de l’âge néolithique précédent rendaient un culte.
L’Egypte des grands temples
2. La dame Touy, supérieure du harem du dieu Min Période d’Aménophis III. Bois de grenadille d'Afrique, socle en ka- rité. H. 33,4 cm. ; L. 8 cm. ; Pr. 17 cm. Musée du Louvre,
département des Antiquités Egyptiennes, E10655 © 2008 Musée du Louvre / Christian Décamps Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
La statuette de Touy est sculptée dans deux essences de bois que les Égyptiens importaient des pays du sud, le karité pour le socle et la grenadille d'Afrique pour la dame elle-même. Sur le
pilier dorsal et le socle, des formules d'offrandes destinées à Osiris, Isis et "tous les Dieux qui sont dans l'Occident (nécropole)" pour qu'ils en fassent bénéficier Touy pour l'éternité. À
l'avant, sur le petit côté, un amoncellement d'offrandes alimentaires et florales matérialise ces souhaits.
Chanteuse du dieu Min
Supérieure des recluses et chanteuse de Min, la Dame Touy était une personnalité importante d'Akhmîm, où résidait ce dieu, ou de Thèbes, la capitale, où Min séjournait auprès du dieu dynastique,
Amon. Elle se tient debout, le pied gauche avancé. Son bras droit pend le long du corps ; la perforation de la main laisse à penser qu'elle tenait un objet (sceptre floral ?). De la main gauche,
elle serre entre ses seins un collier "ménat", un des instruments de sa fonction.
Par la dédicace aux grands dieux de la nécropole et la présence d'offrandes alimentaires gravées sur le socle, on peut supposer que cette statuette faisait partie du mobilier funéraire de la
tombe de la Dame Touy. Texte et offrandes garantissent sa protection et son entretien à tout jamais.
Une élégante au temps d'Aménophis III
Sa silhouette est caractéristique de l'art du temps d'Aménophis III dont elle représente l'une des œuvres les plus parfaites. Les traits de son petit visage plein et rond, ses yeux en amande
tirés vers les tempes et ses lèvres charnues la font ressembler quelque peu à certains portraits de Tiy, Grande Épouse d'Aménophis III. Sa poitrine ronde et sa taille haute accentuent
l'allongement naturel du corps. Les hanches étroites encadrent son ventre modelé qui saille légèrement, vu de profil. La force du galbe des cuisses fait oublier la trop grande finesse des jambes.
La robe et les parures
Elles participent au raffinement de l'ensemble. Par l'arrangement du vêtement et la position du bras couvert par le tissu, des plis se forment dont le rayonnement met en valeur l'anatomie de la
Dame. Une frange, un ruban peut-être, souligne sur toute sa longueur l'enveloppement de la robe qui tombe souplement sur ses cous-de-pied. Sur sa gorge se déploie un large collier formé de quatre
rangées de pendeloques.
La plus imposante de ses parures est sa lourde perruque qui, malgré son volume, n'écrase pas sa fine silhouette grâce à la délicatesse et au soin qui ont présidé à la sculpture des détails :
légèreté de la frisure aiguë de chaque mèche terminée par une torsade, précision des trois tresses à l'arrière de la coiffure se détachant sur un champ de cheveux souplement ondulé.
L’empire assyrien
3. Pazuzu 1e moitié du Ier millénaire, bronze. H. 15 cm. ; L. 8,6 cm. ; Pr. 5,6 cm. Musée du Louvre, Département
des Antiquités Orientales, MNB 467 © 2007 Musée du Louvre / Thierry Ollivier Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
Pazuzu appartient à ces divinités démoniaques du monde souterrain, dont la personnalité est parfois utilisée à des fins bénéfiques. Cette statuette de bronze est l'une de ses plus parfaites
représentations. L'inscription qui couvre le dos des ailes définit sa personnalité : "Moi, Pazuzu, fils de Hanpa, roi des mauvais esprits de l'air qui, des montagnes, violemment, en faisant rage,
sort, je suis."
Un être mythologique hybride
Pazuzu apparaît au Ier millénaire av. J.-C. sous cet aspect hybride : une créature à corps d'homme et à tête de "dragon-serpent" grimaçant qui tient à la fois du chien et du félin. Il est
représenté sous la forme d'un génie tétraptère, avec ses deux paires d'ailes qui sont, comme ses pattes, empruntées aux rapaces. Affublé d'une queue de scorpion, son corps est le plus souvent
recouvert d'écailles.
Un rôle protecteur
L'inscription qui couvre le dos des ailes définit sa personnalité : "Je suis Pazuzu, fils de Hanpa. Le roi des mauvais esprits de l'air qui sort violemment des montagnes en faisant rage,
c'est moi !" Pazuzu est un démon lié aux vents maléfiques, notamment aux vents d'ouest qui sont porteurs de la peste. Son visage effrayant et grimaçant comme son corps écailleux repoussent
les forces du mal. Dans certaines circonstances, il peut être appelé en tant que protecteur. En effet, ce démon issu du monde infernal avait le pouvoir de chasser d'autres démons et était donc
invoqué à des fins bénéfiques, en particulier pour renvoyer aux enfers sa femme, Lamashtu, s'attaquant aux hommes pour leur apporter quelque maladie.
Une image de prédilection à l'époque assyrienne
Pazuzu est largement représenté dans l'art assyrien du Ier millénaire, que ce soit sur de nombreuses statuettes de bronze ou des amulettes protectrices : celles-ci étaient toujours réalisées dans
des matériaux variés, modestes comme la terre cuite ou plus précieux, comme la stéatite ou le jaspe. À cette époque, les croyances et les pratiques magiques liées à la personnalité de ce démon
prolifèrent. La bélière au sommet de la statuette laisse supposer que ce type d'objets était porté au cou ou suspendu dans les habitations, plus précisément dans la chambre des malades. D'autres
exemples de divinités démoniaques du monde souterrain, tels Bès ou Humbaba, sont également attestés dans le monde de l'Orient ancien.
La Grèce classique
4. Athlète au disque dit "le Discophore" Ier-IIe siècle ap. J.-C. d’après un original perdu créé vers 390 av.
J.- C., marbre du mont Pentélique, près d'Athènes. H. 1,67 m. Musée du Louvre, Département des Antiquités Grecques Etrusques et Romaines, MR 159 (n° usuel Ma 89) © 2001 RMN / Hervé Lewandowski
Durée d’exposition au Louvre-Lens : 5 ans
Ce discophore reproduit un original en bronze, aujourd'hui perdu, créé par le sculpteur grec Naucydès au début du IVe siècle av. J.-C. L'oeuvre conserve du
bronzier Polyclète (Ve siècle av. J.-C.) l'esthétique idéalisée du type de l'athlète au repos. Mais l'action est ici imminente et le schéma polyclétéen
largement dépassé. Naucydès a saisi l'athlète dans l'instant qui précède le lancer du disque : la concentration de son regard et la crispation de ses orteils trahissent sa tension.
Un athlète saisi dans l'imminence de l'action
Cette statue de discophore appartenait à la collection d'antiques de la Villa Borghèse à Rome : elle était placée avec trois autres figures athlétiques autour du Gladiateur, entré au
Louvre en même temps qu'elle, vers 1808, après l'achat de la collection par Napoléon Ier à son beau-frère le prince Camille Borghèse. L'athlète est représenté
au moment où il règle sa position avant de lancer le disque, figé dans l'instant qui précède la prise d'élan. La tête baissée, un ajout moderne du sculpteur Pacetti, il se concentre sur la
précision du geste qu'il doit exécuter. Son corps est animé d'une tension que trahissent la voussure du dos, le rejet en arrière de la main gauche, les doigts serrés sur le disque, la crispation
des orteils du pied droit et l'énergie des appuis, les deux pieds solidement campés sur le sol.
Une réplique du discophore de Naucydès
Ce type de représentation est attesté par plusieurs autres copies romaines dans lesquelles on s'accorde à reconnaître les répliques d'une création en bronze, aujourd'hui perdue, attribuée à
Naucydès d'Argos. Selon Pline l'Ancien (Histoire naturelle, XXXIV, 80), ce sculpteur grec a en effet réalisé une statue de discobole. L'original daterait des premières années du
IVe siècle av. J.-C., à l'époque où l'artiste était au sommet de sa carrière. Disciple de l'école de Polyclète d'Argos, Naucydès est fidèle à l'enseignement
de son maître, qu'il renouvelle dans cette œuvre.
L'héritage classique renouvelé
L'héritage classique apparaît ici comme autant de réminiscences des œuvres du Ve siècle av. J.-C., réinterprété dans une composition née d'une nouvelle
conception de la représentation de l'athlète. Le discophore conserve le souvenir des créations de Polyclète du milieu du siècle, leur esthétique idéalisée, leur canon et le calme apparent des
athlètes au repos. La musculature est traitée en masses épaisses et bien délimitées, sur les modèles du Doryphore et du Diadumène (dont une copie romaine est conservée au
Louvre) ; l'anatomie est régie par le même souci d'harmonie et par un calcul de proportion tout aussi savant. Le schéma polyclétéen est cependant largement dépassé : la figure de l'athlète
s'inscrit désormais dans un espace réel, suggéré par l'imminence du mouvement et par l'attitude du jeune homme qui outrepasse le contrapposto mis au point par Polyclète.
Moyen Âge
L’Italie, Byzance et l’Islam en Occident
5. Tête d’ange Fragment d’un décor de la basilique de Torcello (Italie) 2e moitié ou fin du XIe siècle.
Mosaïque, H. 31,6 cm. ; L. 24,6 cm. Musée du Louvre, département des Objets d’art, OA 6460 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
Le fragment provient de la célèbre mosaïque monumentale du Jugement dernier de la basilique Santa Maria Asunta de Torcello, représenté en plusieurs registres. Cette tête était celle de l’un des
anges qui figurent au troisième registre, à partir du haut, derrière le tribunal des Apôtres, de part et d’autre de l’image centrale de la deesis ; les deux arcs de cercle qui subsistent
à la partie inférieure correspondent aux nimbes des deux apôtres entre lesquels apparaissait l’ange.
L’œuvre, puissante et de très grande qualité, est attribuable à l’un des ateliers de mosaïstes byzantins qui travaillèrent à Venise et à Torcello au XIe et
XIIe siècles. Parmi les très rares textes connus qui attestent la présence d’artistes grecs en Occident à cette époque, la mention à Venise en 1153 d’un
mosaïste grec, « Marcus graecus Indriomeni magister musilei », est à cet égard significative.
On a pu rapprocher le Jugement dernier de Torcello des mosaïques de Monreale et de celles de l’Ascension de la coupole centrale de Saint-Marc de Venise, et proposer une datation dans la seconde
moitié ou à la fin du XIIe siècle. L’étude minutieuse des mosaïques de Torcello a permis de distinguer que la tête d’ange du Louvre.
L’Europe gothique
6. Saint François d’Assise Deuxième tiers du XIIIe siècle Bois, H. 0.95 m ; L 0.39 m Musée du Louvre, département des Peintures, RF 975 © RMN-Grand
Palais (Musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda Durée d’exposition au Louvre-Lens : 5 ans
Il s’agit d’une des premières images de Saint François d’Assise (1182-1226), figuré ici avec la barbe, fondateur de l’ordre mendiant des Franciscains, canonisé en 1228. Il porte sur les mains, le
flanc droit et les pieds, les stigmates reçus lors d’une apparition du Christ sur le mont Alverne et est vêtu de la robe de bure, ceinturé par la cordelière aux trois nœuds symbolisant les vœux
de pauvreté, de chasteté et d’obéissance des Franciscains. On a proposé de reconnaitre dans ce panneau la main d’un des peintres d’origine romaine qui a décoré la crypte de la cathédrale d’Anagni
(Latium en Italie) autour de 1235-1240. Son style est très graphique : une ligne sombre dessine les contours de la figure et les traits du visage, les plis sont organisés concentriquement.
Temps modernes
La Renaissance
7. Saint Sébastien de Pietro di Cristoforo Vannucci, dit Le Pérugin (1450-1523) Vers 1490-1500. H. 1,76 m. ; L. 1,16 m.
Musée du Louvre, département des Peintures, RF 957 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
Le thème de saint Sébastien, invoqué contre la peste, est traité à maintes reprises par Pérugin tout au long de sa carrière, qu’il apparaisse vêtu d’un costume du XVe siècle, ou le plus souvent nu, associé à un autre intercesseur, lié à un arbre, intégré dans une Sainte Conversation ou livré au martyre. Dans le tableau du
Louvre, attaché à une colonne comme celui de Mantegna (au Louvre également), il est présenté sous une loggia à pilastres qui ouvre sur le paysage ombrien cher à l’artiste. Une inscription dans la
partie inférieure est un verset du psaume 37 : SAGITTAE TUAE INFIXAE SUNT MICHI (Tes flèches se sont abattues sur moi).
La position du saint, les bras croisés derrière le dos, les jambes légèrement écartées, le visage extatique levé en direction du ciel et le pagne bleu rayé de rouge évoquent irrésistiblement le
saint Sébastien de la Sainte Conversation des Offices (1493). A cette parenté dans l’attitude, s’ajoutent, sur le plan du style, des analogies frappantes et, devant l’habilité de Pérugin à
traiter le nu, le jeune saint ressemble étrangement à un antique, la symétrie rigoureuse de la composition, la perspective convaincante du dallage, la fermeté du dessin et cette lumière blonde
qui modèle délicatement les formes, on songe aux meilleures productions des années 1490. Néanmoins une date plus tardive vers 1500, a été proposée par certains historiens. On connait un dessin
préparatoire pour l’ensemble de la figure (Cleveland, museum of Art). Il existe deux répliques du tableau, sensiblement plus tardives, à Sao Paulo (museu de Arte) et Rome (Galleria Borghese).
8. Portrait de Baldassare Castiglione, écrivain et diplomate (1478- 1529) de Raffaello Santi, dit Raphaël (1483-1520) H. 0,82 m. ; L. 0,67 m. Musée du Louvre, département des Peintures,
INV 611
© 2007 Musée du Louvre / Angèle Dequier Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
La discrétion et l'élégance du costume, la présence intense mais simple et naturelle du modèle font de ce portrait de Castiglione, auteur du Livre du courtisan (publié en 1528) et ami de
Raphaël, l'incarnation par excellence, en peinture, du gentilhomme accompli, du parfait homme de cour décrit dans cet ouvrage. Ce tableau fut probablement peint à Rome en 1514-1515, à l'occasion
de l'ambassade dont le duc d'Urbin avait chargé Castiglione auprès du pape.
Le modèle de ce portrait est Baldassare Castiglione (1478-1529), poète, humaniste et ambassadeur du duc d'Urbin, dont Raphaël avait fait la connaissance dans sa jeunesse, à Urbin même. Resté
célèbre comme auteur du Livre du courtisan, publié en 1528 et consacré au portrait de l'homme de cour idéal, Castiglione était devenu l'ami de Raphaël et tous deux partageaient une même
conception de la beauté et de l'harmonie.
Une incarnation du courtisan
Cette affinité s'exprime parfaitement dans le portrait étonnamment simple et naturel de Raphaël, peint sans doute à l'intention du modèle lui-même. Castiglione est représenté dans un costume
d'une élégance et d'une discrétion remarquables, accordées à sa conception de la mise du gentilhomme accompli : coiffé d'un turban enserrant la chevelure sur lequel s'ajuste un béret à bords
découpés et orné d'une médaille, enveloppé d'un pourpoint sombre garni, sur le plastron et le haut des manches, d'une fourrure grise d'écureuil retenue par un ruban noir, ouvert sur une chemise
blanche bouffante. Cette tenue hivernale permet de supposer que le portrait fut peint pendant l'hiver 1514-1515 lorsque Castiglione, chargé par le duc d'Urbin d'une ambassade auprès du pape Léon
X, se trouvait à Rome, où Raphaël était actif depuis 1508.
L'harmonie sobre de ce costume, contenue entre le noir, le gris et le blanc, se prolonge dans le fond du portrait, d'un gris beige clair et chaud, baigné d'une lumière diffuse dans laquelle
s'estompe insensiblement, sur la droite, l'ombre portée du modèle. L'ensemble est ourlé, comme dans d'autres tableaux de Raphaël, par une étroite bande noire qui délimite la composition, coupant
délibérément le motif des mains et concentrant l'attention du spectateur sur le visage et son intense regard bleu.
Trois empires modernes de l’Islam
9. Plat à la touffe de tulipes et d'œillets Vers 1560-1580. Turquie, Iznik. Céramique siliceuse à décor peint sur engobe sous glaçure transparente. Musée du Louvre, département des Arts
de l’Islam, OA 3927 © 2006 Musée du Louvre / Claire Tabbagh / Collections numériques
Ce plat, daté des années 1560-1580, présente un bouquet bleu, vert et rouge qui s’échappe d’une touffe de feuilles. Sur le décor central, on reconnait des essences de fleurs très naturalistes
avec des tulipes et des œillets parmi lesquelles se distinguent quelques fleurs en boutons. Il est associé à un marli sur lequel se déploie un décor de vagues et rochers inspirés de la porcelaine
chinoise datée du XVe siècle.
La forme est caractéristique des plats d’Iznik : creux avec un marli chantourné. La composition de ce type de plat apparait vers les années 1560 et est désigné sous le nom de « style floral ». La
couleur rouge, utilisée dès 1557, va devenir une marque de référence de la céramique d’Iznik.
10. Carreau à scène chrétienne et décor de ligne noire Iran, XVIIe siècle céramique
Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, Ucad 15118.1 © 2005 Musée du Louvre / Claire Tabbagh
Sur la partie gauche de la scène représentée, sept personnages barbus coiffés de capuchons se distinguent sur un fond d’un bleu profond. Ils portent des croix, un encensoir et des étendards de
procession. Au premier plan, un personnage tenant une croix de la main gauche se penche au dessus d’un cours d’eau représenté par des ondulations grises. Un autre personnage à droite au sommet
d’un édifice sonne les cloches à l’aide d’un marteau. Ce détail nous indique qu’il s’agit d’une église et non d’une mosquée comme la coupole et le plan carré pourraient le laisser croire. Une
silhouette humaine passe la porte de cet édifice.
Les Arméniens d’Iran
Ce décor témoigne de la présence d’une communauté chrétienne en Iran concentrée dans le quartier arménien de la Nea Julfa, à Ispahan créé en 1605. Y résidaient les riches marchands venus
d’Arménie et de Géorgie, spécialisés dans le commerce de la soie et jouissant de privilèges avantageux. La scène pourrait représenter un baptême par immersion, pratiqué traditionnellement par les
Arméniens. La procession laisse imaginer qu’il s’agit d’un baptême exceptionnel, peut-être celui du roi Tiridate III en l’an 314 par saint Grégoire l’Illuminateur (vers 257-331). Ce dernier
convertit les grands du royaume et consacra ainsi l’Arménie comme premier royaume chrétien. Mais une autre hypothèse, plus vraisemblable, proposerait de voir représenter ici une cérémonie appelée
« baptême de la Croix » qui donne lieu à de grandes processions lors desquelles on baptise les croix par immersion. Des récits de voyageurs du XVIIe siècle
attestent de cette pratique.
Une église dédiée à saint Grégoire l’Illuminateur ?
Ce motif iconographique est rare dans le décor des églises arméniennes d’Ispahan. Une église de la Nea Julfa dédiée à saint Grégoire l’Illuminateur pourrait avoir été décorée par le panneau du
Louvre. Construite au XVIIe siècle, des réaménagements en modifièrent le décor initial et empêchent de valider cette
hypothèse. Mais il est probable que l’église comportait un ensemble décoratif de grande ampleur comportant à la fois des scènes de vie de saints et des scènes profanes ; l’on connait en effet
d’autres carreaux à fond bleu similaires conservés au Louvre et à Berlin.
L’Europe baroque
11. La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour (1593-1652) Vers 1640-1645. H. 1,28 m. ; L 0,94 m. Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 1949 11
© 2007 Musée du Louvre / Angèle Dequier Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
Georges de La Tour a traité, à trois reprises au moins, le thème de la Madeleine pénitente comme le prouvent les tableaux conservés au County Museum of Art de Los Angeles, à la National Gallery
de Washington et au Metropolitan Museum de New York. Dernier en date, le tableau du Louvre est le plus strictement composé.
La Madeleine Terff
Le tableau, qui appartenait à Camille Terff à Paris en 1914, est entré au Louvre après de multiples péripéties. Son propriétaire avait chargé un intermédiaire véreux de le vendre. Refusant une
offre du Louvre, pourtant supérieure à la somme demandée par Terff, l’intermédiaire entame finalement des négociations qu’il conclut avec le musée de Cologne ; mais l’escroc garde pour lui une
partie de la recette. Suite à de multiples recours en justice engagés par Terff et ses héritiers, l’œuvre regagne la France et le Louvre en 1949, après un séjour dans les mines de sel, en
Allemagne, où il avait été mis à l’abri des bombardements de la seconde guerre mondiale.
La Madeleine pénitente
La jeune femme est assise devant une table sur laquelle sont disposés quelques livres et un verre d’huile où brûle une mèche. Madeleine est en pleine méditation, le regard fixé sur la grande
flamme qui éclaire son visage. Elle est pieds nus et tient de la main gauche son menton et de la droite, un crâne tourné vers le spectateur et luisant sous l’effet de la lumière. Guérie par le
Christ des démons qui l’habitaient, Marie Madeleine médite sur la vie et sa fragilité, évoquée par le crâne et par la petite flamme éphémère et tremblante. La pécheresse repentie et sanctifiée
apparaît fréquemment à partir du XVIIe siècle avec saint Jérôme comme une image type de l’abandon du monde et de la pénitence. Cet aspect de la sainte sera
fortement soutenu et encouragé par le concile de Trente qui en fait la personnification du sacrement de Pénitence.
La Tour et Marie Madeleine
La Madeleine est l’un des thèmes de prédilection de Georges de La Tour. On connaît actuellement quatre tableaux originaux présentant un schéma de composition similaire mais comportant de
nombreuses variantes : National Gallery de Washington, Louvre, Metropolitan Museum de New York, County Museum de Los Angeles. C’est de cette dernière version que le tableau du Louvre est le plus
proche. En dehors de l’intensité conférée à cette image de méditation, le peintre fait preuve, une fois de plus, d’une très grande virtuosité dans la représentation de la lumière et des objets
comme, par exemple, l’effet de loupe produit par l’huile dans le verre. D’autres versions de ce thème par La Tour sont également connues à travers des gravures et des copies.
Le Temps des Lumières
12. Denis Diderot de Jean Honoré Fragonard (1732-1806) Vers 1769 Huile sur toile. H. 0,82 m. ; L. 0,65 m. Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 1972 14 © 2000 RMN / René-Gabriel
Ojéda
Durée d’exposition au Louvre-Lens : 2 ans et demi
Elève de Chardin puis de Boucher, Fragonard gagne en 1752 le premier prix de peinture de l’Académie qui le conduit en 1756 à Rome. Il y découvre les maîtres du baroque et la campagne italienne,
qu’il dessine en compagnie d’Hubert Robert. De retour à Paris en 1761, il est agréé à l’Académie avec Corésus et Callirhoé qui fait sensation au Salon de 1765. Bien que promis au plus
haut rang de la peinture d’histoire, Fragonard tourne le dos à la carrière officielle. Il travaille désormais en toute liberté, pour la riche clientèle des amateurs éclairés. Son répertoire est
constitué de scène de genre légères ou délicates, de paysages, de figures de fantaisie, de quelques portraits. Son imagination est servie par une virtuosité éblouissante. Dans les années 1780,
l’artiste change de manière pour s’adapter au goût néoclassique.
L’écrivain français Denis Diderot (1713-1784) est auteur de drames, de récits (Jacques le Fataliste) et d’essais, pionnier de la critique d’art (Salons), animateur de
l’Encyclopédie. Matérialiste et athée, il se fait le chantre de la liberté de l’esprit et du corps, le défenseur des peuples opprimés.
On ignore les relations entre Fragonard et Diderot. Après avoir salué en l’auteur du Corésus et Callirhoé (Louvre) le plus brillant espoir de l’école française, Diderot dira deux ans
plus tard, en 1767, sa déception de voir le jeune artiste retomber dans la manière de Boucher. Il n’aura plus guère l’occasion d’écrire à son sujet car Fragonard, abandonnant la carrière
académique, s’abstiendra désormais d’exposer au Salon.
Diderot n’a jamais fait allusion au plus célèbre de ses portraits. Certains ont même douté de l’identification du tableau du Louvre qui n’est prouvée par aucun témoignage d’époque. La comparaison
avec le marbre d’Houdon et la toile de Van Loo milite en la faveur d’une hypothèse que le temps a fini par consacrer. On y trouve des traits identiques (menton, bouche, nez, chevelure), à
l’exception des yeux, bleus chez Fragonard, marrons chez Van Loo. La robustesse de la silhouette rappelle ce que Diderot disait de lui-même en 1767 : « J’avais un grand front, des yeux très vifs,
d’assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps ».
Brossé large, le tableau n’a pas de prétention à l’exactitude des traits. Il est destiné à frapper l’imagination, à symboliser un emploi, un caractère. C’est le front large de l’inspiration, le
sourire de la philosophie, le livre ouvert de la connaissance. Si les recueils, dont rien n’indique le contenu, évoquent irrésistiblement les volumes de l’Encyclopédie, dont Diderot fut
le principal entrepreneur, c’est sans doute parce que cette publication, avec plus de 16 000 pages et plus de 400 planches, représente dans notre histoire le grand ouvrage du savoir, la Bible des
Lumières.
Le tableau fait partie d’une série de quatorze toiles désignées sous le noms de Figures de fantaisie, dont sept sont conservées au Louvre. L’une des toiles porte la date de 1769 et une
étiquette au revers indiquait qu’elle aurait été peinte « en une heure de temps ». Portraits d’intimes ou purs exercice de virtuosité, ces tableaux, dont on ignore la destination exacte,
appartiennent à la période faste du peintre (L’Escarpolette, l’Ile d’amour, la série Progrès de l’Amour). Maître de plusieurs styles, Fragonard privilégie ici
l’écriture en manière d’esquisse, avec de longues coulées de pâte qui gardent la marque de la brosse, des couleurs flamboyantes, des rehauts de lumière qui accentuent l’expression. Le langage est
pour l’époque d’une grande originalité.
Le classicisme français
13. La Baigneuse de Etienne Maurice Falconet (1716-1791) Marbre. H. 0,8 m. ; L. 0,25 m. ; Pr. 0,29 m. Musée du Louvre, département des Sculptures, MR 1846 © 1994 Musée du Louvre / Pierre
Philibert
Durée d’exposition au Louvre-Lens : 5 ans
Falconet capte l'instant où la femme s'éveille en la jeune fille. Il sculpte une figure à la fois sensuelle et pudique. Les lignes pures de ce corps gracile, le geste gracieux du pied avançant
frileusement vers l'eau, évoquent l'innocence un peu timide de la baigneuse. Les modulations subtiles du marbre impriment un frémissement à la chair.
Sensuelle et pudique
Le sculpteur dépeint le moment qui précède le bain : la jeune fille avance frileusement la pointe du pied pour tâter la fraîcheur de l'eau. Ce geste gracieux s'inspire de la Baigneuse
peinte en 1724 par François Lemoyne (auteur de grandes décorations comme le Salon d'Hercule à Versailles), diffusée par la gravure. Falconet capte l'instant où la femme s'éveille en la jeune
fille et définit ainsi un nouveau canon féminin, qui imprégnera ses œuvres postérieures et influencera ses contemporains. Le corps est gracile et allongé, les hanches étroites, les épaules
tombantes, la poitrine naissante. La tête est menue et l'ovale du visage s'allonge en triangle. La coiffure est inspirée de l'antique : les cheveux lissés au-dessus de la tête sont séparés par
une raie médiane. Elle séduisit Madame du Barry, favorite de Louis XV, qui demanda en 1772 à Augustin Pajou de la portraiturer coiffée dans ce goût.
Entièrement nue, la baigneuse n'est pas impudique. La pureté des lignes, la retenue de la pose (elle se penche légèrement pour avancer le pied mais demeure droite), le port des bras simple et
gracieux évitent toute vulgarité et maintiennent une certaine distance avec le spectateur. Ses yeux baissés lui procurent un air ingénu. La statuette n'est cependant ni froide ni inerte. Le léger
déhanché équilibrant le balancement latéral des bras lui donne un mouvement dansant. Surtout, Falconet imprime le sentiment de la chair : le doux poli du marbre suggère le grain de la peau et le
frémissement de l'épiderme.
Reproduite à l'envie
La Nymphe fut exposée au Salon de 1757, au moment où Falconet fut chargé de diriger la sculpture à la manufacture de Sèvres et d'y porter un genre plus noble. Elle connut un succès si
vif qu'elle fut dupliquée, par Falconet lui-même ou par d'autres sculpteurs comme Jean-Pierre Antoine Tassaert, un Flamand formé à Paris, devenu sculpteur du roi de Prusse en 1774. Reproduite par
de nombreux moulages, elle fut dès 1758 diffusée en biscuit. L'exemplaire du Louvre est une répétition autographe en marbre provenant de la collection de Mme du Barry à Louveciennes, où elle
côtoyait la Vénus sortant du bain (Louvre) de Christophe-Gabriel Allegrain, formant un intéressant contraste. Saisie à la Révolution, la statuette entra au Louvre avant 1855.
Les tiraillements d'un sculpteur
La réussite de Falconet dans ce genre de statuette étonne chez un artiste austère, ami de Diderot, réfléchissant et écrivant sur son art, auquel il assigne un but moral. Elle illustre les
tiraillements du sculpteur entre ses ambitions et ses commanditaires. Protégé de Madame de Pompadour (1721-1764), la première favorite de Louis XV (sœur du marquis de Marigny, directeur des
Bâtiments du roi, et protectrice des arts), il infléchit son métier pour l'adapter aux exigences d'une cour sensible à l'élégance décorative.
Néoclassicismes
14. Master Hare de sir Joshua Reynolds (1723-1792) H. 0,77 m. ; L. 0,64 m. Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 1580 © 2007 Musée du Louvre / Angèle Dequier
Durée d’exposition au Louvre-Lens : 5 ans
Ce portrait de Francis George Hare est en France le tableau le plus célèbre de Reynolds. Le jeune garçon aux cheveux longs, âgé de deux ans, est représenté avec ses habits de tout jeune enfant.
Il est vêtu d'un habit de mousseline comme les enfants de son âge et de son milieu. Cette oeuvre devint rapidement célèbre et l'une des illustrations obligées de l'art britannique.
Simple portrait d'innocence ou réflexion plus profonde sur le monde de l'enfance ?
Il est rare de voir un tel naturel dans un portrait, même d'enfant. Reynolds arrive à merveille à capter l'innocence de ce tout jeune enfant. Les longues boucles, les pommettes roses, mais
surtout la pose entièrement libre du bras droit, campent le modèle dans une attitude vivante et spontanée. Le décor presque aérien d'arbres et de verdure ne fait qu'augmenter le sentiment
d'harmonie naturelle, d'authenticité et de spontanéité. Reynolds met parfaitement en scène ce petit garçon, qui regarde hors du cadre quelque chose au loin que personne d'autre ne peut saisir. Sa
peau blanche, ses yeux vifs, sa pose dynamique contrastent avec les couleurs plus sombres de l'arrière-plan. Le peintre veut ainsi montrer la primauté du monde enfantin qui se soucie peu du monde
extérieur. L'écho subtil entre les cheveux encore blonds de l'enfant, les reflets mordorés sur l'arbre derrière lui et l'étoffe qui lui sert de ceinture animent le tableau pour magnifier la
douceur de cet enfant.
L'enfance encadrée
Les portraits d'enfants sont l'un des titres de gloire de Reynolds. Certains sont une évocation de la douceur et de la poésie de l'enfance comme celui de Penelope Boothby. D'autres font preuve de
plus d'humour ou de simplicité. Pourtant on retrouve d'autres représentations plus élégantes, plus convenues mais moins attendries qui rappellent la très grande place que Reynolds laissait à la
spontanéité.
La tradition du "grand portrait" avait déjà été subvertie, notamment par Gainsborough qui avait peint un portrait d'enfant célèbre, The Blue Boy. Cependant, Reynolds, en réduisant le
cadre et en abandonnant le portrait en pied, parvient à laisser transparaître une fraîcheur naturelle. Ce tableau a en effet été gravé par Robert Thew sous le titre Infancy en 1790.
Infancy devint ensuite l'illustration phare du type du jeune enfant anglais.
Reynolds : un acteur majeur de l'art anglais
Au début du XVIIIe siècle, la peinture en Angleterre est surtout pratiquée par des peintres étrangers. Pour changer cette situation, il faut former et
promouvoir des artistes nationaux et créer un art britannique aux caractéristiques uniques. En 1768 est fondée la Royal Academy à Londres, qui connaît rapidement un grand succès notamment grâce à
ses fréquentes expositions.
Reynolds, ayant longtemps œuvré pour la reconnaissance de la peinture britannique, en devient son premier Président. Il lui revient la lourde tache d'établir les bases de l'école de peinture
anglaise. Il promulgue un enseignement classique et exigeant que l'on connaît grâce à ses Discours sur l'Art restés célèbres. Reconnu pour son immense talent, il est considéré comme l'un
des plus grands peintres anglais à sa mort en 1792.
15. Athénienne de Martin-Guillaume Biennais Entre 1800 et 1804 / Fabrication : Paris If, bronze, argent Musée du Louvre, Département des Objets d'Art, OA 10424 © 1987 RMN /
Daniel Arnaudet
Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
L'athénienne fut réalisée pour le consul Napoléon Bonaparte, afin d'orner sa chambre au palais des Tuileries. Cette œuvre, inspirée du trépied antique, a été exécutée par le tabletier
Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), dont les activités s'étaient étendues au mobilier et à l'orfèvrerie depuis la suppression des corporations, en 1792. Cette athénienne révèle le goût ambiant
du début du XIXe siècle pour l'Antiquité et celui de Napoléon, qui emporta cet objet à Sainte-Hélène.
La forme de cette athénienne est tirée du trépied antique. Dans l'Antiquité, le trépied était un petit meuble tripode soutenant une cuve. Généralement en bronze, il pouvait également être en
cuivre, en argent, en pierre ou en or. Certains étaient d'usage courant et faisaient office de brasero, d'autres, d'usage votif, étaient offerts dans les sanctuaires en hommage aux divinités. Le
trépied devint très vite un motif fréquent à l'époque classique. L'intérêt pour l'Antiquité au milieu du XVIIIe siècle donna un nouvel essor à ce type
d'objet. En 1773, Jean-Henri Eberts inventa un trépied faisant office à la fois de guéridon, cassolette, réchaud et jardinière, qu'il baptisa du nom d'"athénienne" par allusion au tableau de
Joseph-Marie Vien La Vertueuse Athénienne, où l'on voit une femme grecque faisant une offrande sur un trépied.
Un répertoire à la fois antique et aquatique
Le modèle de cette athénienne, dont le dessin fut fourni par Charles Percier (1764-1838), est très élégant. Les pieds en if sont finement arqués et surmontés d'un chapiteau à palmettes, dans
lequel niche un cygne en ronde bosse de bronze ciselé et doré. Les cygnes supportent de leurs ailes et de leur cou un cercle de bronze orné d'une frise de postes, qui soutient le bassin ciselé de
roseaux et de feuilles de chêne. La tablette de l'entrejambe est reliée aux pieds par de petits dés de raccordement ornés d'abeilles et par des dauphins. Dauphins et cygnes appartiennent au
répertoire à la fois antique et aquatique ; ils illustrent ainsi la fonction de lavabo de cette athénienne.
Une œuvre emblématique du début du XIXe siècle
Le thème du cygne est assez récurrent sous le Consulat et l'Empire. L'architecte et décorateur Berthault a choisi ce motif pour orner le lit de Madame Récamier. Au début du XIXe siècle, la forme du trépied est plus que jamais à la mode, à une période où le goût est imprégné de culture antique. Les recueils d'architecture, comme celui de Percier
et Fontaine, proposent de nombreux modèles de ce type de meuble. Cependant, le trépied ne combine plus divers usages mais sert de lavabo, comme celui de Napoléon. La dénomination "d'athénienne"
est alors réservée aux exemplaires luxueux destinés aux souverains. Biennais a réalisé d'autres petits meubles de toilette et de bureau, et on lui connaît deux autres athéniennes conservées au
Metropolitan Museum de New York et au château de Fontainebleau.
Art et pouvoir en France en 1830
16. Louis-François Bertin de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), 1832 H. 1,16 m. ; L. 0,95 m.
Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 1071 © 2010 Musée du Louvre / Angèle Dequier Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
Le caractère et le statut social de Louis-François Bertin, fondateur du Journal des débats qui soutenait la politique de Louis-Philippe, sont manifestes dans ce tableau. Ingres a créé
l'image type de la bourgeoisie triomphante de 1830. C'est aussi
le portrait le plus réaliste peint par le maître qui a saisi son modèle, patron de presse, en pleine discussion, la chevelure en désordre. Cette toile frappe encore par la précision des détails,
comme le reflet de la fenêtre sur le siège.
Un patron de presse
Assis dans un fauteuil, un homme âgé d'une soixantaine d'années, aux cheveux gris-blanc, au corps trapu, dans un costume sombre, nous fait face et nous regarde intensément. L'énergie se lit dans
l'expression de son visage et dans son attitude familière, les mains sur les genoux, prêt à bondir. Ce portrait traduit parfaitement le caractère et le statut social de Louis-François Bertin
(1766-1841), journaliste et homme d'affaires, propriétaire du Journal des débats. Partisan d'une monarchie constitutionnelle, il avait été emprisonné sous l'Empire puis s'était opposé au
régime de Charles X. A l'époque où il est portraituré, sous la monarchie de Juillet, son journal lu par la bourgeoisie libérale, soutenait le gouvernement de Louis-Philippe qu'il avait contribué
à installer et à faire triompher.
"Le bouddha de la bourgeoisie"
Ingres a réalisé ce portrait en 1832 au cours de sa période parisienne qui s'étend entre 1824 et 1834. Le révolutionnaire de 1806 était désormais considéré comme le successeur de David, le
défenseur de la tradition face à Delacroix et aux romantiques. Il a alors surtout réalisé des tableaux "manifestes" comme L'Apothéose d'Homère (musée du Louvre) et seulement quelques
portraits. D'autres périodes de sa vie ont été beaucoup plus riches en portraits.
Il expose au Salon de 1833 cette toile en pendant d'un portrait plus ancien, Madame Duvauçay (1807, Chantilly, musée Condé) pour montrer l'évolution de son art. L'attitude du modèle a
suscité des critiques : on la trouvait ridicule et vulgaire. Plus tard la fille de Bertin écrivit : "Mon père avait l'air d'un grand seigneur ; Ingres en a fait un gros fermier". Dans
cette oeuvre qui est le plus célèbre portrait d'homme peint par Ingres, on a souvent vu l'incarnation d'une classe sociale. Pour Édouard Manet par exemple, c'était "le bouddha de la
bourgeoisie, repue, cossue, triomphante".
Une vérité photographique
Il s'agit sans doute de l'œuvre la plus réaliste d'Ingres. Contrairement à d'autres portraits du maître, comme Caroline Rivière (musée du Louvre), l'attitude du modèle n'est pas ici
inspirée de peintures antiques ou de portraits de Raphaël. L'artiste a peint Bertin comme il l'avait observé un jour, chez lui, en pleine discussion. Le pinceau d'Ingres est d'une précision
minutieuse dans le rendu des détails, les imperfections du visage, le désordre de la chevelure. Un autre élément de réalisme est le détail du reflet d'une fenêtre sur le bras du fauteuil,
pratique qui rappelle l'art de Jan Van Eyck. S'il n'y a plus les abstractions du contour de La Grande Odalisque (musée du Louvre), on retrouve cependant les anatomies malléables chères
au peintre. Se manifeste aussi son goût des courbes dans les bras de Bertin et dans le dossier du fauteuil. Enfin l'espace de la toile est comprimé, comme souvent chez Ingres.
17. Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830)de Eugène Delacroix (1798-1863) H. 2,6 m. ; L. 3,25 m. Musée du Louvre, département des Peintures, RF 129 © 2009 Musée du
Louvre / Erich Lessing Durée d’exposition au Louvre-Lens : 1 an
L’insurrection populaire du 27, 28 et 29 juillet 1830 à Paris, ou Les Trois Glorieuses, suscitée par les républicains libéraux contre la violation de la Constitution par le gouvernement de la
seconde Restauration, renverse Charles X, dernier roi
bourbon de France et met à sa place Louis Philippe, duc d'Orléans. Témoin de l'évènement, Delacroix, y trouve un sujet moderne qu'il traduit méthodiquement en peinture mais avec la même ferveur
romantique que pour la Guerre d'Indépendance grecque.
Un acte patriotique
Tout, que ce soit dans la nature, dans une croisée d'ogive gothique, dans un félin, dans un voyage, dans une passion humaine, ou dans un événement qui change le cours de l'histoire et inverse les
rapports de force artistiques, exalte l'imagination de Delacroix et le plonge dans une émotion profonde qui s'exprime aussitôt dans la peinture d'une manière personnelle et chaque fois
renouvelée. L'ampleur qu'il donne à la colère de la rue qui vient d'exploser à Paris est encore en grande partie due à ce tempérament.
Son amitié avec les protagonistes du conflit comme Adolphe Thiers qui hésitent encore entre maintien de la Monarchie constitutionnelle et rétablissement de la République, ne l'y aurait pas non
plus laissé indifférent. Sa dépendance des commandes institutionnelles et des membres de la famille royale, et son ambiguïté personnelle l'auraient confiné dans le rôle de simple promeneur, comme
dit Alexandre Dumas, mais l'artiste citoyen qu'il est, contribue à protéger des combats de rue les collections du Louvre, et le nostalgique de l'Empire napoléonien vibre à la vue du drapeau
tricolore hissé par les insurgés au sommet de Notre-Dame de Paris. Le moment venu d'accomplir à son tour son devoir envers la Patrie, il écrit à Charles Verninac son neveu : "Trois jours au
milieu de la mitraille et les coups de fusil ; car on se battait partout. Le simple promeneur comme moi avait la chance d'attraper une balle ni plus ni moins que les héros improvisés qui
marchaient à l'ennemi avec des morceaux de fer, emmanchés dans des manches à balai".
En septembre l'artiste entreprend de retracer de manière allégorique l'épopée parisienne et exécutée d'octobre à décembre, elle est exposée au Salon en mai 1831. En mûrissant, comme à son
habitude, son projet pictural à l'aide d'études préalables à chaque élément et étape, et du répertoire de motifs élaboré par lui au quotidien depuis le début de sa carrière, il réussit à le
mettre au point en trois mois, l'essentiel étant la force d'expression plastique et épique qu'il fait ressortir en choisissant de peindre la foule franchissant les barricades et son assaut final
dans le camp adverse. L'élan porté à son paroxysme par la victoire s'inscrit dans un plan pyramidal dont la base jonchée de cadavres est comme un piédestal sur lequel s'élève l'image des
vainqueurs. Ce procédé de composition rigoureux, utilisé par Géricault dans Les Naufragés de la Méduse ou par lui-même dans La Grèce sur les ruines de Missolonghi contient et
équilibre la touche emportée du peintre et le rythme impétueux de la scène.
Une Révolution parisienne
Incarnée par une fille du peuple coiffée du bonnet phrygien, les mèches flottant sur la nuque, vivante, fougueuse, révoltée et victorieuse, l'allégorie de la Liberté évoque la Révolution de 1789,
les sans-culottes et la souveraineté du peuple. Le drapeau, bleu, blanc, rouge, symbole de lutte, mêlé à son bras droit, se déploie en ondulant vers l'arrière du plus sombre au plus lumineux,
comme une flamme.
Serré par une double ceinture aux bouts flottant sur le côté, l'habit jaune qu'elle porte rappelle les drapés antiques. En glissant au-dessous des seins, il laisse voir la pilosité de son
aisselle que les classiques ont trouvée plutôt vulgaire, la peau d'une déesse devant être lisse. La nudité relevant du réalisme érotique l'associe effectivement aux victoires ailées. Son profil
grec, son nez droit, sa bouche généreuse, son menton délicat et son regard de braise rappelle le modèle qui a posé pour Les femmes d'Alger dans leur appartement. Exceptionnelle parmi les
hommes, déterminée et noble, le corps profilé et éclairé à droite, la tête tournée vers eux, elle les stimule vers la victoire finale. Son flanc droit sombre se détache sur un panache de fumée.
Appuyée sur le pied gauche nu, dépassant de la robe, le feu de l'action la transfigure. L'allégorie participe à un réel combat. Le fusil à baïonnette d'infanterie, modèle 1816, à la main gauche,
la rend vraisemblable, actuelle et moderne.
Deux gamins de Paris, engagés spontanément dans la bataille sont, l'un à gauche, agrippé aux pavés, les yeux dilatés sous le bonnet de police des voltigeurs de la garde ; l'autre, le plus
célèbre, à droite devant La Liberté, est le symbole de la jeunesse révoltée par l'injustice et du sacrifice pour les causes nobles. On lui associe Gavroche avec son béret de velours noir des
étudiants, ou faluche, signe de leur révolte. Avançant de face, la giberne, trop grande, en bandoulière, les pistolets de cavalerie aux mains, le pied droit en avant, le bras levé, le cri de
guerre à la bouche, il exhorte au combat les insurgés. Le combattant portant un béret avec cocarde blanche des monarchistes et nœud de ruban rouge des libéraux ainsi qu'une banderole porte-sabre
et sabre des compagnies d'élite d'infanterie modèle 1816 ou briquet est un ouvrier manufacturier reconnaissable à ses tablier et pantalons à pont. Le foulard qui retient son pistolet sur le
ventre, évoque le Mouchoir de Cholet, signe de ralliement de Charette et des vendéens. L'homme à genoux au chapeau haut de forme de bourgeois ou de citadin à la mode, peut-être Delacroix ou un de
ses amis, porte des pantalons larges et une ceinture de flanelle rouge d'artisan ; l'arme, un tromblon à deux canons parallèles, est un fusil de chasse. Celui qui saigne sur le pavé et se
redresse à la vue de la Liberté, porte noué sur la tête un foulard jaune comme la robe de l'héroïne ; avec sa blouse et sa ceinture de flanelle rouge de paysan, il rappelle les employés
temporaires à Paris. Le gilet bleu, l'écharpe rouge et sa chemise répondent aux couleurs du drapeau.
Un sujet moderne
"J'ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n'ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m'a remis de belle humeur" ( lettre du 28 octobre à son
frère). Les soldats, allongés au sol, occupent le premier plan à la base de la structure pyramidale. A gauche, le cadavre dépouillé de son pantalon, les bras étendus et la tunique retroussée,
est, avec la Liberté, la deuxième figure mythique dérivée d'une académie d'atelier faite d'après l'antique et appelée Hector, héros d'Homère devenu réel. A droite, le suisse couché sur le dos est
en tenue de campagne contemporaine consistant en une capote gris-bleu, une décoration rouge au collet, des guêtres blanches, des chaussures basses et un shako. A côté de lui gît à mi-corps et
face contre terre un cuirassier à l'épaulette blanche. A gauche, au fond du triangle, se trouvent les étudiants dont le polytechnicien au bicorne bonapartiste et un détachement de grenadiers en
capote grise et tenue de campagne. Malgré la barricade intercalée entre le premier plan et l'arrière plan droit du tableau où se trouvent les éléments de paysage urbains, celui-ci semble vide et
lointain par rapport à la bataille rangée qui sature la moitié latérale. Comme chez Victor Hugo, les tours de Notre Dame font référence à la liberté et au Romantisme et situent l'action à Paris.
Leur orientation sur la rive gauche de la Seine est inexacte et les maisons entre la Cathédrale et la Seine relèvent de l'imaginaire. La lumière du soleil couchant qui se mêle à la fumée des
canons et qui révèle le mouvement baroque des corps, éclate au fond à droite et sert d'aura à la liberté, au gamin et au drapeau. Comme on l'a vu plus haut, la couleur, véritable prouesse du
peintre, unifie le tableau ; les bleu, blanc, rouge ont des contrepoints ; le blanc des bandoulières parallèles de buffleterie répond à celui des guêtres et de la chemise du cadavre de gauche
tandis que la tonalité grise exalte le rouge de l'étendard.
Delacroix était apprécié de Charles X qui lui a acheté Les massacres de Scio et La mort de Charles le téméraire. Il était ami avec la duchesse de Berry et les Orléans. Il aimait
attirer l'attention de l'autorité et frapper l'opinion mais considéré alors comme chef de file du mouvement romantique, il était passionné de liberté. Son émotion au cours des Trois Glorieuses
est sincèrement ressentie et exprimée à la gloire du peuple citoyen "noble, beau, et grand". Historique et politique, son œuvre témoigne, en combinant documents et symboles, actualité et fiction,
réalité et allégorie, du dernier sursaut de l'ancien régime.
Symbole de la Liberté et la révolution picturale, réaliste et innovatrice, elle fut rejetée par la critique habituée à voir célébrer le réel par des concepts plus classiques. Le régime de
Louis-Philippe dont elle saluait l'avènement, l'ayant cachée au public, elle n'entre qu'en 1863 au musée du Luxembourg et en 1874 au Louvre. Image de l'enthousiasme romantique et révolutionnaire,
continuant la peinture historique du XVIIIe siècle et devançant Guernica de Picasso, elle est devenue universelle.